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à-dire en 1856, la télégraphie aérienne s’efface et disparaît à jamais devant sa rivale, la télégraphie électrique. Digne et glorieuse fin ! Inaugurée pendant les guerres de la République, par l’annonce de la prise de Condé sur les Autrichiens, l’invention de Chappe termine sa carrière sous les murs de Sébastopol. Elle meurt, pour ainsi dire, enveloppée dans les plis de ce même drapeau tricolore, qui avait si glorieusement flotté sur son berceau !

Le télégraphe aérien n’est plus qu’un souvenir pour la génération actuelle. Dans notre temps, où tout passe si vite, la vieille machine inventée sous la République, n’éveille qu’un souvenir de pitié, en présence des prodiges qu’accomplit chaque jour le télégraphe électrique, et l’appareil suranné qui immortalisa Claude Chappe, n’est plus bon qu’à tenter la verve des chansonniers. M. Nadaud, dont les compositions s’inspirent souvent avec bonheur des choses de nos jours, est l’auteur d’une chanson, le Vieux télégraphe, que nous citerons à la fin de ce chapitre, comme pour relever, par quelque grain de poésie, notre très-humble prose.

LE VIEUX TÉLÉGRAPHE.

Que fais-tu, mon vieux télégraphe,
Au sommet de ton vieux clocher,
Sérieux comme une épitaphe,
Immobile comme un rocher ?
Hélas ! comme d’autres, peut-être,
Devenu sage après la mort,
Tu réfléchis, pour les connaître,
Aux nouveaux caprices du sort.

C’est que la vie est déplacée ;
Les savants te l’avaient promis,
Et toute royauté passée
N’a plus de flatteurs ni d’amis.
Autrefois, tu faisais merveille,
Et nous demeurions tout surpris
De voir, en un seul jour, Marseille
Envoyer deux mots à Paris.

Tu fus l’énigme de notre âge ;
Nous voulions, enfants curieux,
Deviner ce muet langage,
Qui semblait le parler des Dieux.
Lorsque tes bras cabalistiques,
Lançaient à l’horizon blafard
Les mensonges diplomatiques
Interrompus par le brouillard.

Maintenant, en une seconde,
Le Nord cause avec le Midi ;
La foudre traverse le monde
Sur un brin de fer arrondi.
L’esprit humain n’a point de halte,
Et tu restes debout et seul,
Ainsi qu’un chevalier de Malte,
Pétrifié dans son linceul !

Tu te souviens des diligences
Qui roulaient jadis devant nous,
Portant écoliers en vacances,
Gais voyageurs, nouveaux époux.
Tu ne vois plus, au clair de lune,
Aux rayons du soleil levant,
Passer tes sœurs en infortune,
Qui jetaient leur poussière au vent !

Ainsi s’éteignent toutes choses,
Qui florissaient au temps jadis ;
Les effets emportent les causes,
Les abeilles sucent les lis.
Ainsi chaque règne décline,
Et les romans de l’an dernier,
Et les jupons de crinoline,
Et les astres de Le Verrier !

Moi, je suis un pauvre trouvère,
Ami de la douce liqueur ;
Des chants joyeux sont dans mon verre,
J’ai des chants d’amour dans le cœur.
Mais à notre époque inquiète,
Qu’importent l’amour et le vin ?
Vieux télégraphe, vieux poëte,
Vous vous agiteriez en vain !

Puisque le destin nous rassemble,
Puisque chaque mode a son tour,
Achevons de mourir ensemble
Au sommet de ta vieille tour.
Là, comme deux vieux astronomes,
Nous regarderons fièrement
Passer les choses et les hommes,
Du haut de notre monument !


Nadaud.