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Nous signalerons encore, dans le même ordre d’idées, le travail éminemment curieux d’un savant russe, M. de Sévastianoff, qui a reproduit, en 1848, le fac-simile complet du manuscrit de la Géographie de Ptolémée, manuscrit grec du quatorzième siècle, composé de 112 pages, avec un grand nombre de cartes de géographie, coloriées dans le style naïf de cette époque. Pour doter la science de cet ouvrage, d’une grande valeur historique, et dont le seul exemplaire connu se trouve dans un couvent du mont Athos, M. de Sévastianoff alla s’enfermer des années entières, dans ce pays reculé, et il parvint, à force d’art et de patience, à obtenir le fac-simile héliographique des 112 pages du manuscrit et des nombreuses cartes qui raccompagnent, qu’il revêtit ensuite de teintes coloriées, conformément au modèle.

Il n’est pas sans intérêt de dire comment ont été obtenus les clichés qui devaient servir au tirage de tous ces positifs. Comme plus de cent clichés de verre auraient été bien difficiles à conserver et même à se procurer en ces lointaines régions, M. de Sévastianoff trouva le moyen d’exécuter tous ses clichés positifs avec sept à huit lames de verre seulement. Après avoir obtenu sur le verre la couche de collodion formant l’épreuve négative, il détachait cette couche du verre et la transportait sur du papier ciré, pour obtenir un cliché négatif sur papier ciré. M. de Sévastianoff put de cette manière, reproduire tout le manuscrit avec les huit ou dix lames de verre dont il pouvait disposer.

Grâce au dévouement et à la patience de ce savant moscovite, nos bibliothèques pourront posséder une copie fidèle d’un manuscrit unique au monde et du plus grand prix pour la science. Il est évident que ce qui a été fait par M. de Sévastianoff pour le manuscrit de la Géographie de Ptolémée, pourra se répéter pour un grand nombre d’autres manuscrits rares et tout aussi précieux. Quelle belle et utile application de la photographie ! Avec de tels moyens, la science ne peut plus périr.

La reproduction des manuscrits et des corps d’écritures, dont nous venons de parler, nous amène à dire quelques mots, en terminant ce chapitre, de la reproduction des tableaux et autres œuvres d’art.

Bien que la photographie ait été créée et mise au monde pour retracer et multiplier tout ce qui est visible à nos yeux, la reproduction des œuvres d’art a présenté longtemps de réelles difficultés. Nous ne parlons ni de la sculpture ni de la gravure, dont la reproduction n’a été qu’un jeu pour la photographie dès l’époque de ses débuts ; mais la copie héliographique des tableaux, surtout celle des tableaux anciens, a paru longtemps impossible. Désespérant même d’y parvenir, certains photographes s’étaient décidés à opérer comme les graveurs, c’est-à-dire à travailler d’après un dessin très-exact du tableau. C’est ainsi que M. Baldus composa une belle reproduction de la Sainte Famille, de Raphaël, et qu’un autre artiste nous donna, par le même procédé, la Nativité, d’Esteban Murillo. Mais ce n’était là qu’un à-peu-près. Grâce à des procédés spéciaux d’éclairage, on est bientôt parvenu à reproduire les tableaux, quels que soient le nombre et la variété de leurs tons. Ce genre de reproduction ne présente plus aujourd’hui de difficultés que pour les tableaux très-anciens et qui ont fortement poussé au noir.

Le maître en ce genre spécial, est assurément M. Bingham, artiste anglais, mais qui réside à Paris. M. Bingham a reproduit une grande partie de l’œuvre de Paul Delaroche, plusieurs tableaux d’Ary Scheffer et de Meissonnier. La Rixe, de Meissonnier, est la reproduction la plus fidèle de ce tableau qui ait paru jusqu’à ce jour ; elle l’emporte sur la gravure qui en a été faite ; elle est, pour ainsi dire, le tableau même.

La plus intéressante des reproductions des