Page:Figuier - Les Merveilles de la science, 1867 - 1891, Tome 3.djvu/18

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« Tu auras pu voir, écrit-il à son frère, le 20 avril 1817, que je me proposais de te donner des détails circonstanciés sur les recherches qui m’occupent, et auxquelles tu as la bonté de prendre un intérêt que je serais bien heureux de pouvoir justifier. Je n’ai point encore la certitude démontrée du succès ; mais j’ai acquis quelques probabilités de plus, ce qui ranime mon courage et me porte à reprendre la suite de mes expériences.

« Je crois t’avoir mandé, mon cher ami, que j’avais renoncé à l’emploi du muriate d’argent, et tu sais les raisons qui m’y ont déterminé. J’étais fort embarrassé de savoir par quelle autre substance je pourrais remplacer cet oxyde métallique, lorsque je lus, dans un ouvrage de chimie, que la résine de gaïac, qui est d’un gris jaunâtre, devenait d’un fort beau vert quand on l’exposait à la lumière ; qu’elle acquérait par là de nouvelles propriétés, et qu’il fallait, pour la dissoudre dans cet état, un alcool plus rectifié que celui qui la dissout dans son état naturel. Je m’empressai donc de préparer une forte dissolution de cette résine, et je vis en effet, qu’étendue en couches légères sur du papier, et soumise au contact du fluide lumineux, elle devenait d’un beau vert foncé en assez peu de temps ; mais, réduite en couches aussi minces qu’elles devaient l’être pour l’objet proposé, sa solution dans l’alcool ne m’offrit pas la moindre différence sensible. De sorte qu’après plusieurs tentatives également infructueuses, j’y renonçai, bien convaincu de l’insuffisance de ce nouveau moyen.

« Enfin, en jetant les yeux sur une note du Dictionnaire de Klaproth, article Phosphore, et surtout en lisant le mémoire de M. Vogel, sur les changements que l’action de la lumière fait subir à ce combustible, je m’imaginai qu’il serait possible de l’appliquer avantageusement à mes recherches.

« Le phosphore est naturellement jaunâtre ; mais, fondu convenablement dans l’eau chaude, il devient presque aussi blanc, aussi transparent que le verre, et alors il est peut-être plus susceptible que le muriate d’argent lui-même, des impressions de la lumière. Ce fluide le fait passer très-rapidement du blanc au jaune, et du jaune au rouge foncé, qui finit par devenir noirâtre. L’alcool de Lampadius, qui dissout aisément le phosphore blanc, n’attaque point le Phosphore rouge, et il faut pour fondre ce dernier une chaleur beaucoup plus forte que pour fondre le premier. Le Phosphore rouge exposé à l’air, ne tombe pas en déliquescence comme le Phosphore blanc, qui, après avoir absorbé l’oxygène, se convertit en acide phosphoreux. Cet acide a la consistance de l’huile et corrode la pierre comme les acides minéraux. J’ai constaté la vérité de toutes ces assertions, et sans m’étendre davantage là-dessus, je suis persuadé que tu sentiras comme moi, mon cher ami, combien cet agent chimique peut offrir de combinaisons utiles pour la solution du problème qu’il s’agit de résoudre.

« La seule difficulté qui m’embarrasse maintenant, c’est d’étendre le phosphore comme un vernis sur la pierre. Il faut qu’il soit en couche très-mince, autrement la lumière ne le pénétrerait pas à fond, et, le phosphore n’étant pas oxydé dans toute son épaisseur, on manquerait ainsi le but qu’on se propose d’atteindre. Cette substance est attaquée par l’alcool et surtout par les huiles ; mais ces dissolvants lui enlèvent la propriété qu’il importe le plus de lui conserver, ainsi que l’expérience me l’a démontré. Je suis parvenu à l’étendre sur la pierre à l’aide du calorique, dans mon appareil qui est une espèce de soufflet rempli de gaz nitreux, dont l’âme inférieure reçoit la pierre en question, et qui porte à son âme supérieure un petit mécanisme pour répandre également le phosphore, ainsi qu’un verre pour éclairer l’intérieur ; mais cet appareil ne fermait point assez exactement pour empêcher l’air ambiant d’y pénétrer ; et le phosphore s’enflammait avant que l’opération fût terminée. Pour arriver à une démonstration complète, il faut donc que je tâche d’abord de remédier à cet inconvénient majeur, et j’espère y parvenir d’une manière ou de l’autre. Je m’empresserai de te faire connaître, mon cher ami, le résultat de mes recherches ultérieures à cet égard[1]. »

Au bout de trois mois, il signifie à son correspondant, l’insuccès définitif de ses expériences avec le phosphore, dans la lettre suivante, datée du 2 juillet 1817 :

« Mes expériences les plus importantes sur le phosphore n’ont pas réussi ; je n’ai pu parvenir jusqu’ici à fixer avec cette substance, l’image des objets à l’aide de l’appareil dont tu sais que je me servais. Je crois qu’il y a une grande différence, ainsi que je l’ai observé, entre les corps qui retiennent la lumière en l’absorbant, et ceux qu’elle ne fait qu’altérer en changeant ou modifiant leur couleur. Au reste, je n’ai pas encore assez varié mes expériences pour me regarder comme battu, et je ne me décourage point[2]. »

Il ajoute, dans une lettre du 11 juillet 1817 :

« Je viens de m’occuper de l’analyse de la gomme-résine de gaïac. Mon objet était de mettre à nu la partie de cette substance qui est susceptible des impressions de la lumière. J’ai déjà reconnu avec plaisir que cette singulière propriété n’existe point dans la matière gommeuse que l’eau dissout aisément ; et que

  1. V. Fouque, la Vérité, etc., p. 87-90.
  2. Ibidem, p. 93.