Page:Figuier - Les Merveilles de la science, 1867 - 1891, Tome 3.djvu/186

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pler le grand roi à travers l’âme d’un peintre de génie, qu’à travers le miroir même d’une trop fidèle réalité. Louis XIV pourrait avoir la colique, — il prenait tant de médecines ! comme nous l’apprend le Journal de la santé du roi[1] — ou sa grande perruque être mal accommodée ; au lieu du vainqueur de la Hollande, je trouverais peut-être l’esclave ridé de madame de Maintenon !

Ainsi, l’imitation n’est que le moyen des arts plastiques ; leur but, c’est de rappeler à notre âme les sentiments qu’éveille en nous la vue de la réalité. Dans un tableau, ce qui nous touche, ce qui nous émeut, ce n’est point la reproduction fidèle des objets qui nous entourent, mais bien cet ensemble de confuses pensées mystérieusement attachées à leur forme extérieure, et qui s’échappent du cœur à leur souvenir, comme à la vue de leur image. Le plus grand peintre est celui qui réalise le mieux cette harmonie secrète de nos sensations intimes et de la forme des objets extérieurs.

Avec les moyens les plus simples un artiste de génie sait émouvoir nos cœurs. Avec un coin de prairie, une chaumière à demi cachée sous de grands arbres, quelques vaches aux alentours d’un ruisseau, Claude Lorrain, Ruysdaël et Corot ont le privilége d’agiter profondément nos âmes, de nous plonger dans un monde de rêveries. L’impression provoquée par le pinceau du peintre, ne résulte pas de la vérité avec laquelle les objets sont reproduits sur la toile : elle naît seulement des ressouvenirs et des sentiments poétiques qu’éveille en nous l’heureuse et habile disposition des divers éléments de la scène champêtre. Le toit fumant de la maisonnette nous rappelle les joies tranquilles de la famille et du foyer ; le ruisseau qui murmure doucement sous les grands arbres, nous apporte comme un écho affaibli et lointain des harmonies rurales ; les fleurs à demi ensevelies sous l’herbe et la rosée de la prairie, nous rendent les parfums oubliés et les senteurs de nos champs ; le troupeau qui, à l’horizon, gravit péniblement la colline, nous envoie le grave enseignement du labeur fécond et béni de Dieu ; et tous les éléments de cette scène heureuse semblent se rassembler, pour nous offrir comme une représentation animée et vivante, où viennent se confondre toutes les harmonies, toutes les délices, toutes les félicités paisibles de la vie des champs.

Mais si, dans les arts, l’imitation, au lieu d’être un but, est seulement un moyen ; si les œuvres des grands maîtres vivent par la pensée qu’elles expriment et non par la vérité de la reproduction matérielle ; si le secret de la peinture, c’est de représenter, non l’aspect réel des objets, mais l’impression poétique dont ces objets sont pour nous l’occasion, il faut reconnaître qu’au point de vue des beaux-arts, les images daguerriennes sont d’une bien faible valeur. Obligé par la nature même du procédé dont il fait usage, de rassembler pêle-mêle sur sa glace collodionnée, et sans qu’il lui soit permis d’éliminer ou de choisir, tous les objets qu’embrasse le champ de sa lentille, l’opérateur doit forcément renoncer à cet artifice de la composition, qui est la condition nécessaire et la base des arts plastiques. Aussi quand elle reproduit les scènes changeantes du monde qui nous entoure, la photographie nous donne-t-elle des copies admirables ; mais c’est là tout. Le seul sentiment que ces calques merveilleux puissent exciter en nous, est celui d’une curiosité stérile, sentiment qui renaît à chaque exhibition nouvelle, et qui, par conséquent, renaît affaibli. L’admiration qu’ils inspirent parle à nos sens et ne va pas au delà : ils charment les yeux armés de la loupe, non l’esprit. L’œil est ravi, l’âme est muette. Il est donc permis de dire que la photographie ne saurait pré-

  1. Journal de la santé du roi Louis XIV écrit de 1647 à 1711, par Valot, Daquin et Fagon, ses premiers médecins, Paris, in-8o, 1862. Voir aussi : Les Médecins au temps de Molière, par le Dr  Maurice Raynaud, Paris, in-8o, 1862.