Page:Figuier - Les Merveilles de la science, 1867 - 1891, Tome 3.djvu/191

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plutôt le sentiment de celui qui l’a exécutée.

Si donc l’objectif n’est qu’un instrument de plus dont nous disposons pour traduire l’aspect de la nature ; si le photographe conserve dans ses œuvres son individualité, sa manière propre, le sentiment qui le distingue et l’anime, on est bien forcé de reconnaître que la photographie peut rendre quelques services aux beaux-arts. Au lieu de n’y voir qu’un simple mécanisme à la portée du premier venu, il faut donc s’efforcer de la pousser plus avant encore dans la direction artistique ; il faut applaudir aux efforts de ceux qui travaillent dans cet esprit élevé, et souhaiter que leur exemple trouve beaucoup d’imitateurs.

Il faut d’autant moins dédaigner les documents que la photographie fournit aux études des élèves, comme à celles des maîtres, que cet art, bien compris, produit, on doit l’avouer, une échelle de tons infiniment étendue. Depuis la touche vaporeuse de Diaz jusqu’aux sombres intérieurs de Granet, tous les genres de peinture s’y trouvent représentés ; on y reconnaît avec surprise les manières opposées de différentes écoles qui ont tour à tour captivé l’admiration du public. Depuis les molles et vagues teintes du Corrège, jusqu’aux effets contrastés et audacieux de Rembrandt, les procédés si divers adoptés par les peintres de toutes les époques, se trouvent ainsi justifiés par la nature elle-même. Dans une suite de vues photographiques, on rencontre tour à tour un Metzu et un Decamps, un Titien et un Schœffer, un Ruysdaël et un Corot, un Van Dyck et un Delaroche, un Claude Lorrain et un Marilhat. Ainsi la photographie est venue consacrer les chefs-d’œuvre, si opposés dans leur manière, que l’opinion publique avait successivement exaltés ; et elle concilie, en les justifiant, nos prédilections respectives pour le style opposé des grands maîtres de l’art.

Pour peu qu’elle offre certaines qualités qu’il est facile de lui prêter, l’épreuve photographique d’un monument, d’un édifice historique, etc., sera toujours préférée à une lithographie, qui représente le même sujet avec une infidélité choquante, et sans aucun mérite comme objet d’art. Un portrait doux et ressemblant obtenu par la photographie, sera toujours supérieur à un médiocre portrait à l’huile, d’une ressemblance douteuse.

Les dessins, les gravures ou lithographies qui représentent des villes, des églises, des ruines, des statues, des bas-reliefs et des sujets d’architecture, ne peuvent entrer en lutte avec l’épreuve photographique, qui leur est mille fois supérieure sous le rapport de la vérité, de la précision et du fini. Quand on peut, pour un prix modique, posséder l’image fidèle du paysage préféré, du monument antique dont on a curieusement interrogé les vestiges, de l’édifice auguste dont on a admiré les proportions et l’harmonie, on laisse de côté les mauvaises gravures, les lithographies grossières, et tous les produits imparfaits sortis des bas étages de l’art.

Les œuvres photographiques, en se vulgarisant, auront pour résultat d’épurer le domaine des beaux-arts, en ce qu’elles rendront l’existence impossible à tout dessinateur médiocre. Les gens de métier, les hommes qui ne vivent que sur les pratiques du procédé manuel, seront contraints de disparaître ; les hommes supérieurs, ceux dont les travaux s’élèvent au-dessus du niveau des conditions communes, résisteront seuls à la révolution salutaire que nous verrons s’accomplir. En même temps, la comparaison des beaux produits photographiques avec les ouvrages de la peinture et du dessin, d’une part rectifiera le goût du public, et d’autre part, forcera les grands artistes à se dépasser eux-mêmes. En effet, la photographie traduit et représente les objets extérieurs avec une vérité admirable ; pour faire mieux qu’elle, l’artiste devra donner à l’interprétation plus d’importance qu’il ne lui en accorde d’ordinaire. Il faudra que l’individualité de l’artiste, il faudra que l’âme du