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LES
POUDRES DE GUERRE

Les contes ridicules qui sont débités par les écrivains français sur l’origine de la poudre à canon, sont un triste témoignage des préjugés qui remplissent encore l’histoire des sciences, et de l’état chétif dans lequel a vécu jusqu’à ce jour cette branche de nos connaissances. Nos historiens les plus graves continuent à attribuer à Roger Bacon la découverte de la poudre, et au moine Berthold Schwartz la création de l’artillerie. S’ils veulent cependant faire preuve de connaissances plus précises à ce sujet, ils se hâtent d’ajouter que l’artillerie a été mise en usage pour la première fois, par les Vénitiens, au siége de Chiozza, en 1380, et qu’en France, un seigneur allemand fit présent à Charles VI de six pièces d’artillerie de fer, qui furent employées, en 1382, à la bataille de Rosbecque contre les Gantois. Quand ils veulent enfin obtenir un brevet d’érudition spéciale sur la matière, nos écrivains abordent les récits du feu grégeois, et c’est alors qu’arrivent toutes ces belles histoires sur ce terrible feu « qui embrasait avec une horrible explosion des bataillons, des édifices entiers »[1] ; — que l’eau nourrissait au lieu de l’éteindre[2] ; — « que l’on ne pouvait éteindre que par le sable ou le vinaigre »[3] ; enfin, dont la composition s’est perdue au xive siècle, et n’a jamais été retrouvée.

On se demande, à la lecture de tant d’assertions erronées, comment on a pu altérer et obscurcir à ce point une question. Nous allons nous attacher ici, en nous appuyant sur les travaux les plus récents et les plus authentiques, à la présenter sous son véritable jour.

De tout temps, dès la plus haute antiquité, le feu a été l’un des moyens d’attaque en usage à la guerre. Les écrivains grecs et latins nous ont transmis la description de certains mélanges inflammables qu’on lançait à l’ennemi avec des machines, ou que l’on attachait aux flèches et aux dards.

Il résulte des textes de plusieurs historiens, tels que Thucydide (423 ans avant J.-C), Æneas le Tacticien (336 ans avant J.-C), Végèce et Ammien Marcellin, écrivains militaires latins du ive siècle après J.-C, que plusieurs siècles avant notre ère, des mélanges de matières combustibles furent employés dans les siéges, comme agents offensifs, soit par les assiégeants, soit par les défenseurs. Tout le monde sait que l’huile et la poix bouillantes étaient jetées, du haut des remparts, sur les assaillants, dans les guerres des anciens peuples. Il faut ajouter que des

  1. Lebeau, Histoire du Bas-Empire, t. XIII, p. 106.
  2. Gibbon, t. X, p. 356, édit. 1828.
  3. Libri, Rapport au comité des travaux historiques et des sociétés savantes, au ministère de l’Instruction publique (5 déc. 1838).