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compositions véritablement incendiaires venaient se joindre à ces moyens de défense. Nous citerons comme exemple le passage suivant du livre d’Æneas le Tacticien.

« Pour produire un embrasement inextinguible, dit Æneas, prenez de la poix, du soufre, de l’étoupe, de la manne, de l’encens et des ratissures de ces bois gommeux dont on fait les torches : allumez ce mélange et jetez-le contre l’objet que vous voulez réduire en cendres. »

Dans le chapitre précédent, Æneas recommande, si l’ennemi a mis le feu aux machines, d’arroser ces machines avec du vinaigre ; et il ajoute que non-seulement le vinaigre éteindra le feu, mais qu’on ne le rallumera qu’avec peine. Héron d’Alexandrie, Philon, l’architecte romain Vitruve, indiquent le même expédient, et prescrivent de tremper dans le vinaigre les cuirs et les matelas dont les machines doivent être couvertes.

Hâtons-nous de dire que cette branche de l’art de la guerre fit peu de progrès en Europe ; mais qu’il en fut autrement en Asie. Les mélanges incendiaires, qui avaient été déjà employés en Orient avant l’expédition d’Alexandre, reçurent dans ces contrées, un développement extraordinaire ; ils devinrent l’arme principale des combats.

Au viie siècle après J.-C, les feux de guerre furent transportés chez les Grecs du Bas-Empire. Ils passèrent de là chez les Arabes. On connaît tous les avantages que retirèrent les Grecs du Bas-Empire, dans leurs guerres maritimes, de ces mélanges combustibles, qui prirent alors le nom de feu grec ou de feu grégeois. Durant la période des croisades, les Arabes d’Afrique employaient contre les chrétiens ces mélanges inflammables, qui produisaient sur leurs ennemis l’impression d’une profonde terreur.

Le feu grégeois ne fut jamais, entre les mains des Grecs du Bas-Empire, comme dans les mains des Arabes, qu’un moyen de provoquer ou de propager l’incendie, qu’une manière de multiplier les formes sous lesquelles le feu peut être employé comme agent offensif dans les combats. Mais il finit par se répandre en Europe, et dès lors une révolution complète s’opéra dans ses usages. On apprit, dans l’Occident, à extraire le salpêtre des terres où il se trouve tout formé, on réussit à le purifier ; ajouté aux ingrédients primitifs des mélanges incendiaires, le salpêtre accrut énormément leur puissance combustible. Enfin la propriété explosive de certains mélanges à base de salpêtre, fut reconnue, on l’appliqua à l’art de lancer au loin des projectiles, et c’est ainsi que vers la moitié du xive siècle, l’artillerie à feu prit naissance en Europe.

Telle est, résumée en quelques traits, l’histoire générale de la poudre de guerre. À cette question : « Quel est l’auteur de la découverte de la poudre ? » — question si souvent posée et en des termes si divers, — on ne peut donc répondre que par cette autre question de Voltaire : « Qui le premier inventa le bateau ? » Personne n’a découvert la poudre, ou pour mieux dire tout le monde l’a découverte. C’est à la suite de perfectionnements successifs lentement apportés à la préparation des mélanges incendiaires, que se sont révélées, entre les mains des hommes, la propriété explosive de ces mélanges et leur force de projection. Ce n’est donc qu’après plusieurs siècles d’expériences et d’efforts que l’on a pu créer cet agent terrible qui, en déplaçant, dans les armées, le siége de la force, vint révolutionner l’art des combats.

En retraçant sommairement l’histoire de l’origine et des premiers emplois de la poudre à canon, nous avons indiqué par cela même le plan de cette Notice. Toutefois il est nécessaire, avant d’aller plus loin, d’établir à quelles sources ont été puisés les faits qui vont nous occuper. En 1845, MM. Reinaud et Favé ont publié sous ce titre : Du feu grégeois et des feux de guerre, un ouvrage d’une excellente érudition, rempli de consciencieuses recherches. L’interprétation des textes arabes et l’étude attentive des auteurs grecs