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grégeois se répandit chez les Arabes. Faut-il penser, avec M, Lalanne, que les infidèles en durent la communication à quelque Grec fugitif, ou peut-être même à l’empereur détrôné Alexis III, qui, retiré, en 1210, à la cour du sultan d’Iconium, en obtint une armée contre les princes grecs de Nicée, et aurait pu de cette manière chercher à payer au sultan son hospitalité ? Il est, selon nous, plus probable que les Arabes empruntèrent aux Chinois l’art des compositions incendiaires. En effet, au viie siècle, certains rapports avaient commencé de s’établir entre les Arabes et les Chinois ; et ce dernier peuple avait envoyé, au premier siècle de l’hégire, une ambassade à la Mecque. Au viiie et au ixe siècle de notre ère, les Arabes et les Persans entretenaient avec les Chinois des relations suivies ; ces rapports furent repris au milieu du xiiie siècle, après la conquête de la Chine par les Mongols. Ce fut donc sans doute par cette dernière voie que les Sarrasins, qui avaient tant souffert des mélanges incendiaires, apprirent à leur tour à les manier à leur profit. Quoi qu’il en soit, dès les premières années du xiiie siècle, nous voyons les Arabes en possession du feu grégeois.

Les mélanges incendiaires subirent à cette époque, un perfectionnement fondamental. C’est de ce moment que date l’introduction du salpêtre dans les substances destinées à provoquer et à propager l’incendie.

Le salpêtre est dans plusieurs contrées de l’Asie, mais principalement en Chine et dans les Indes, un produit naturel. Il y prend naissance spontanément, aux dépens des éléments de l’air. Formé à la surface du sol, sur les lieux élevés, il est dissous par les eaux pluviales, qui l’entraînent le long des pentes, dans le fond des vallées : là il pénètre dans l’intérieur du sol ; plus tard, par l’effet de la capillarité, cette dissolution, remontant peu à peu à la surface, y produit des efflorescences salines. Il suffit de recueillir ces terres pour en retirer le salpêtre par un simple lessivage à l’eau. Cette opération, pratiquée de temps immémorial en Chine et dans les Indes, fournit le salpêtre dans un certain état de pureté. Ainsi, dès les temps les plus reculés, les Chinois eurent connaissance de ce sel ; ils observèrent, par conséquent, la propriété dont il jouit de fuser sur les charbons incandescents, c’est-à-dire de les faire brûler avec un très-vif éclat et d’activer la combustion avec une grande énergie. Il est donc tout simple que les Chinois aient eu de bonne heure l’idée d’ajouter le salpêtre à leurs mélanges combustibles.

Il est impossible, selon MM. Reinaud et Favé, de fixer avec exactitude l’époque à laquelle les Arabes empruntèrent aux Chinois la connaissance et l’emploi du salpêtre, et celle où les Chinois eux-mêmes avaient appris à s’en servir. Il est seulement établi qu’avant l’année 1225, date du manuscrit arabe de la bibliothèque de Leyde que nous avons cité plus haut, les compositions salpêtrées n’étaient pas encore en usage. Mais tous les manuscrits arabes postérieurs à cette date, et surtout l’ouvrage de Marcus Grœchus (1230), renferment la description d’un grand nombre de recettes dans lesquelles le salpêtre entre comme agent essentiel.

D’après les formules contenues dans ces traités, le feu grégeois employé était formé de la réunion de diverses substances grasses ou résineuses, auxquelles venaient s’ajouter le salpêtre et le soufre. D’autres recettes prescrivent un mélange de soufre, de charbon et de salpêtre dans toutes les proportions imaginables. On trouve même indiqué parmi ces dernières le mélange de 12,5 de charbon, 12,5 de soufre et 75 de salpêtre, qui forme notre poudre à canon.

Marcus Grœchus donne les formules suivantes pour préparer les feux qu’il appelle feux volants[1] :

  1. Les feux volants dont parle Marcus étaient des espèces de fusées très-analogues aux nôtres. On n’en faisait point usage comme arme de guerre ; on s’en servait seulement dans les feux d’artifice. On verra plus loin cependant que