Page:Figuier - Les Merveilles de la science, 1867 - 1891, Tome 3.djvu/234

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cache sous un anagramme, le nom du charbon pulvérisé, qui entre dans la composition du mélange incendiaire. Il s’exprime ainsi :

« Prenez du salpêtre here vopo vir can utri et du soufre ; et de cette manière vous produirez le tonnerre, si vous savez vous y prendre. Voyez pourtant si je parle énigmatiquement ou selon la vérité[1]. »

Dans une autre partie du même ouvrage, De secretis operibus artis et naturæ, Roger Bacon revient sur la même idée, et la développe davantage.

« Il y a encore d’autres phénomènes étonnants de la nature. On peut produire dans l’air des bruits pareils aux tonnerres et aux éclairs, plus horribles que ceux qui se font dans la nature. Car une petite quantité de matière préparée, de la grosseur du pouce, fait un bruit horrible et un éclair violent. Cela se produit de beaucoup de manières par lesquelles une ville ou une armée peuvent être détruites, à l’imitation de l’artifice employé par Gédéon, lorsqu’au moyen d’un feu jaillissant avec un bruit inexprimable, il détruisit avec deux cents hommes une armée innombrable de Madianites. Ce sont des choses admirables pour qui saurait bien se servir des matières et des quantités voulues[2]. »

Dans un autre ouvrage, Opus majus, Roger Bacon, après avoir répété presque textuellement le passage qui précède, ajoute :

« Il est des substances dont la détonation frappe l’oreille à tel point, surtout pendant la nuit, quand tout a été convenablement disposé pour cela et quand la détonation est subite, inattendue, que, ni les armées, ni les villes ne peuvent en soutenir les effets. Aucun éclat du tonnerre ne peut être comparé au bruit de ces détonations. Les longs éclairs qui sillonnent la nue sont incomparablement moindres, et, à leur vue, nous n’éprouvons pas la moindre terreur. On croit que Gédéon produisit des effets à peu près semblables dans le camp des Madianites, en employant cette même substance. D’ailleurs, on répète l’expérience en petit dans tous les pays du monde où l’on emploie, dans les jeux, des pétards et des fusées, et l’on sait que, renfermée dans un instrument qui n’est pas plus gros que le pouce d’un homme, cette substance, qu’on appelle salpêtre, détone avec un bruit horrible, imitant les éclairs et le bruit du tonnerre[3]. »

Si du temps de Roger Bacon, le pétard était un jeu d’enfant, dans beaucoup de pays, c’est que la composition de la poudre à base de salpêtre avait été vulgarisée par l’ouvrage de Marcus Grœchus, et qu’elle était devenue un objet d’amusement, à peu près comme le devinrent les bonbons à la cosaque, préparés avec le fulminate de mercure, à l’époque de la découverte de ce composé détonant et de son emploi dans les capsules de fusil.

Albert le Grand, contemporain et ami de Roger Bacon, a reproduit presque littéralement les passages que nous avons cités de l’ouvrage de Marcus Grœchus. Dans son livre sur les Merveilles du monde (de Mirabilibus mundi) Albert le Grand transcrit, sans y rien changer, sept paragraphes du Liber ignium ad comburendos hostes de Marcus Grœchus, et notamment les recettes de la composition de la fusée, ou feu volant. Il suffit, pour s’en convaincre, de rapprocher du texte de Marcus Grœchus que nous avons rapporté plus haut, le passage du livre d’Albert le Grand.

  1. « Sed tamen salis petrae here vopo vir can utri et sulphuris ; et sic facies tonitruum, si scias artificium. Videas tamen utrum loquar in senigmate vel secundum veritatem. » (Epistolæ fratris Rogerii Baconis De secretis operibus artis et naturæ et de nullitate magiœ, caput viii.) En faisant l’anagramme, on trouve carvonu pulveri trito, qui se rapproche de carbonis pulvere trito.
  2. « Præter verò hæc sunt alia stupenda naturæ. Nam soni velut tonitrus et coruscationes possunt fieri in aere ; imò majore borrore quàm illa quæ fiunt per naturam. Nam modica materia adaptata, scilicet ad quantitatem urtius pollicis sonum facit horribilem et coruscationem ostendit vehementem. Et hoc fit multis modis, quibus civitas, aut exercitus destruatur ad modum artificii Gedeonis, qui lagunculis fractis et lampadibus igne exsiliente cum fragore inæstimabili, infinitum Madianitarum destruxit exercitum cum ducentis hominibus. Mira sunt hæc, si quis sciret uti ad plenum in debita quantitate et materià. » (Même ouvrage, chapitre vi.)
  3. « Quædam vero auditum perturbant in tantum, quòd si subito et de nocte et artificio sufficienti fierent, nec posset civitas nec exercitus sustinere. Nullus tonitrui fragor posset talibus comparari. Quædam tantum terrorem visui incutiunt, quod coruscationes nubium longe minus et sine comparatione perturbent ; quibus operibus Gedeon in castris Madianitarum consimilia æstimatur fuisse operatus. Et experimentum hujus rei capimus ex hoc ludicro puerili, quod fit in multis mundi partibus, scilicet ut instrumento facto ad quantitatem pollicis humani, ex violentia illius salis qui sal petræ vocatur, tam horribilis sonus nascitur in ruptura tam modicæ rei, scilicet modici pergameni, quod fortis tonitrui sentiatur excedere vagitum, et coruscationem maximam sui luminis jubar excedit. »
    (Fratris Rogerii Opus Majus. Londres, 1733, p. 474.)