Page:Figuier - Les Merveilles de la science, 1867 - 1891, Tome 3.djvu/32

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ici, il y a peu de jours. Un officier en retraite, le colonel Niépce de Senneçay, qui habite Châlon-sur-Saône, est venu m’acheter un objectif destiné à une chambre obscure. Il a ajouté qu’il faisait cette acquisition pour un de ses cousins, lequel s’occupe de fixer l’image de la chambre obscure, et même y serait parvenu. Plusieurs personnes se trouvaient avec moi, quand cette communication me fut faite. Notre surprise à tous a été grande, vous pouvez le croire ; et il s’est même élevé une discussion assez sérieuse sur la possibilité d’un tel résultat. Quoi qu’il en soit, le colonel acheta et paya la chambre obscure, que j’ai expédiée le lendemain à son parent de Châlon-sur-Saône. Peut-être, je le répète, feriez-vous bien de vous mettre en rapport avec lui et de joindre vos efforts aux siens, pour arriver au but que vous poursuivez chacun de votre côté. »

Comme tous les hommes pénétrés de leur supériorité et confiants en eux-mêmes, Daguerre n’aimait pas les conseils.

« À quoi bon ? répondit-il, et pourquoi me mettre en rapport avec la personne dont vous me parlez ? J’ai déjà trop donné dans les utopies. Votre homme est encore quelque songe-creux. »

Cependant il se ravisa, et demanda l’adresse de l’utopiste de province.

Charles Chevalier prit une plume, et écrivit ces mots sur une carte : « M. Niépce, propriétaire, aux Gras, près Châlon-sur-Saône. »

Daguerre sortit, sans en dire davantage. Il reprit ses expériences et ses recherches, et pendant quelques jours il se laissa totalement absorber par elles. Mais le résultat ne répondait pas à son attente. Il songea alors à ce propriétaire de Châlon-sur-Saône, qui se flattait d’avoir triomphé des difficultés devant lesquelles il se heurtait en vain lui-même, et il se décida à lui écrire.

Niépce accueillit avec défiance les ouvertures de Daguerre. Lui qui, dans sa correspondance avec son frère, évitait de décrire les noms des substances qu’il essayait, de peur que ses lettres ne fussent lues par quelque indiscret, ne pouvait que répondre avec la plus excessive réserve aux demandes d’un étranger. Les provinciaux de la bonne roche nourrissent de grandes défiances à l’endroit des Parisiens : « Bon, disait Nicéphore Niépce, voilà un de ces Parisiens qui veut me tirer les vers du nez[1]. » Il se décida à lui répondre, mais il le fit « avec toute la circonspection d’un homme qui craint de compromettre son secret[2]. »

La première lettre adressée par Daguerre à Nicéphore Niépce, et la réponse de ce dernier, sont des 25 et 26 janvier 1826. Daguerre, après cette première ouverture, laissa s’écouler plus d’un an, sans revenir à la charge. Ce ne fut qu’à la fin de janvier 1827, qu’il écrivit de nouveau à Niépce.

Daguerre annonçait au physicien de Châlon, que, depuis longtemps, il s’occupait, lui aussi, de la fixation des images de la chambre obscure, et qu’il était arrivé à quelques résultats. Il désirait connaître ceux que Niépce avait obtenus de son côté, et le priait, en conséquence, de lui faire parvenir une de ses épreuves.

Devant cette insistance, Nicéphore Niépce, en homme bien avisé, commença par demander à Paris, des renseignements sur Daguerre. Il était en correspondance suivie avec Lemaître, graveur habile, à qui il avait confié les essais pour la gravure de ses planches héliographiques. Dans le post-scriptum d’une lettre qu’il écrivait à cet artiste, le 2 février 1827, il lui demanda des renseignements sur Daguerre. Ce ne fut que sur la réponse extrêmement favorable de Lemaître, que Niépce se décida à répondre à la nouvelle

  1. Historique de la découverte improprement nommée Daguerréotype, précédé d’une notice sur son véritable inventeur, feu M. Joseph-Nicéphore Niépce, de Châlon-sur-Saône, par son fils, Isidore Niépce, Paris, Astier, août 1841, in-8o, p. 21.
  2. Ibidem.