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sciences, le communiqua à l’Académie le 10 août 1839.

Ceux qui eurent le bonheur d’assister à cette séance, en conserveront longtemps le souvenir. Il serait difficile, en effet, de trouver dans l’histoire des compagnies savantes, une plus belle, une plus solennelle journée, L’Académie des beaux-arts s’était réunie à l’Académie des sciences. Sur les bancs réservés au public, se pressait tout ce que Paris renfermait d’hommes éminents dans les sciences, dans les lettres, dans les beaux-arts. Tous les yeux cherchaient l’heureux artiste qui avait conquis si vite une renommée européenne ; on espérait l’entendre prononcer lui-même la révélation si désirée. Lui, cependant, s’était modestement dérobé à ce triomphe si légitime ; il avait déféré cet insigne honneur à Arago, qui avait pris l’invention nouvelle sous son savant et bienveillant patronage.

Si les rangs étaient pressés dans la salle des séances, au dehors l’affluence était énorme ; le vestibule regorgeait de curieux, gens malavisés qui n’étaient venus que deux heures avant l’ouverture de la séance. Enfin, tout d’un coup la porte s’ouvre, et l’un des assistants arrive, tout empressé de communiquer au dehors le secret si impatiemment attendu. « Le procédé consiste, dit-il, dans l’emploi de l’iodure d’argent et de vapeurs de mercure ! » Je vous laisse à penser l’embarras, la surprise et les mille questions. L’iodure d’argent ! la vapeur de mercure ! Mais que peuvent avoir de commun et l’iodure d’argent et la vapeur de mercure, avec ces charmantes images que nos yeux ne se lassent pas de contempler ! Attendez cependant, voici un autre officieux, et mieux renseigné cette fois : « Il est bien question du mercure ! C’est de l’hyposulfite de soude ! » Comprenne qui pourra. Cependant le mystère finit par s’éclaircir, et la foule se retire peu à peu, encore tout agitée de ces émotions délicieuses, heureuse d’applaudir à une création nouvelle du génie de la France, fière d’accorder à l’Europe un si magnifique présent.

Quelques heures après, les boutiques des opticiens étaient assiégées ; il n’y avait pas assez de chambres obscures pour satisfaire le zèle de tant d’amateurs empressés. On suivait d’un œil de regret, le soleil qui déclinait à l’horizon, emportant avec lui la matière première de l’expérience. Mais, dès le lendemain, on put voir à leur fenêtre, aux premières heures du jour, un grand nombre d’expérimentateurs s’efforçant, avec toute espèce de précautions craintives, d’amener sur une plaque préparée, l’image de la lucarne voisine, ou la perspective d’une population de cheminées. Quelles joies innocentes, quelles ravissantes angoisses ; mais quels désappointements cruels ! Lorsque, après un quart d’heure de mortelle attente, on retirait la plaque de la chambre noire, on trouvait un ciel couleur d’encre ou des murailles en deuil. Cependant, dans ces tableaux informes, il y avait toujours quelque trait furtif d’une délicatesse achevée ; la masse était confuse, mais on pouvait y saisir quelque détail admirablement venu, qui arrachait un cri de surprise et presque des larmes de plaisir. C’était la balustrade d’une fenêtre qui était superbe ; c’était le grillage voisin qui avait imprimé sur le fidèle écran son image de dentelle. Sur cette plaque, où tout paraît confus, vous n’apercevez rien, mais regardez mieux, prenez une loupe : là, dans ce petit coin du tableau, il y a une mince ligne, c’est la tige éloignée de ce paratonnerre que vos yeux aperçoivent à peine ; mais le merveilleux instrument l’a vu, et il vous l’a rapporté.

Au bout de quelques jours, sur les places de Paris, on voyait des daguerréotypes braqués contre les principaux monuments. Tous les physiciens, tous les chimistes, tous les savants de la capitale, mettaient en pratique, avec un succès complet, les indications de l’inventeur.