Page:Figuier - Les Merveilles de la science, 1867 - 1891, Tome 3.djvu/527

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terminons la tâche que nous avions entreprise, de faire connaître à nos lecteurs toute la série des inventions modernes relatives aux armes à feu portatives. On a vu suffisamment par les résultats que nous avons fait connaître, la prodigieuse puissance qu’ont reçu de nos jours les agents de destruction. Bien des personnes s’imaginent, cette assertion est devenue banale à force d’être répétée, que la perfection acquise aujourd’hui aux divers moyens de destruction, rend la guerre désormais impossible ; que les mitrailleuses, les canons rayés et les fusils à aiguille, par leur puissance même, sont appelés à supprimer les batailles et à devenir ainsi les instruments les plus directs de pacification universelle. Nous ne partageons pas cet optimisme. La guerre nous apparaît comme un état inévitable et fatal dans les sociétés humaines. Pour la bannir, il faudrait arracher à l’homme ses passions, ses convoitises, et le fond des mauvais instincts qui le dominent. Née à l’origine des sociétés, la guerre ne disparaîtra sans doute qu’avec elles. Il ne faut donc pas se bercer d’espérances auxquelles un passé trop récent et trop funeste, et l’avenir donneraient peut-être de cruels et sanglants démentis.

On ne doit pas, d’ailleurs, apprécier seulement la guerre par les victimes qu’elle moissonne ; il faut la voir par son côté moral, qu’on ne peut lui dénier. La guerre est, dans bien des cas, le salut des empires, le moyen de sauver un pays des brutales attaques de dangereux voisins. Elle est donc ainsi nécessaire à la sécurité de l’individu, de la famille, de la patrie. La guerre est encore, dans bien des cas, le seul moyen de régénérer un peuple endormi dans une indolence funeste, prêt à s’abandonner lui-même, abruti par un long abus des jouissances matérielles et par la servitude. Avec son admirable discipline et ses mâles vertus, avec son sentiment profond de l’honneur, sentiment qui est chez elle exquis et raffiné, l’armée est partout la meilleure école de l’homme ; c’est l’asile des grandes qualités morales, de la loyauté, de l’abnégation, de l’obéissance, sans parler du courage. Ne prêtez donc pas, lecteurs, une oreille trop complaisante aux philanthropes à courtes vues, qui vous annoncent la suppression des armées, et la fin prochaine de l’état de guerre dans le monde civilisé.

Non, la guerre ne disparaîtra pas à la suite du perfectionnement des moyens de destruction. Seulement, l’armement moderne conduira à changer profondément l’ancienne tactique des batailles. Les engagements devant être infiniment plus meurtriers qu’autrefois, il faudra adopter des manœuvres spéciales pour se mettre à l’abri de leurs redoutables effets. De même qu’au xvie siècle, la création de l’artillerie lançant des boulets de fer, obligea de transformer tout le système de fortification des places, de même les nouveaux fusils à longue portée et à tir rapide, conduiront à changer les manœuvres de troupes. C’est dans cette direction que la science militaire travaille aujourd’hui chez tous les peuples.

Entre l’ancien fusil de munition et le fusil rayé à aiguille, il y a, sous le rapport des effets meurtriers, une distance effrayante, et dont les chiffres vont nous donner la mesure exacte. Au temps de Louis XIV, le fusil de munition était si impuissant que Vauban avait calculé, d’après des relevés dignes de foi, que pour tuer un homme dans une bataille, il fallait dépenser un poids de projectiles de plomb égal au poids de l’homme lui-même. Pendant les guerres de la République et du premier Empire, le fusil de munition étant le même que du temps de Louis XIV, la proportion n’avait pas changé. Redoutables à bout portant, les feux de mousqueterie étaient méprisables dans leur ensemble. Avec son canon lisse et ses balles sphériques, le tir du fusil était plus qu’incertain. À 200 ou 300 mètres, les feux de peloton allaient ensevelir leurs balles dans la poussière, aux pieds de l’ennemi, ou voler, inoffensifs,