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bouleversant, et en y portant l’incendie au moyen des obus et des boulets creux.

« Cette facilité de vaincre assez simplement une machine très-coûteuse où sont accumulés les moyens offensifs et défensifs les plus compliqués, et l’impossibilité de faire participer des batteries à vapeur, telles que celles des Américains, aux évolutions et aux opérations lointaines de la haute mer, font penser que ces batteries ne peuvent avoir qu’une influence bornée sur les opérations maritimes en général, et qu’elles ne sauraient être employées utilement que, comme elles le sont en effet, dans quelques circonstances particulières, pour des localités déterminées[1]. »

Divers projets mis en avant depuis cette époque, n’avaient rien ajouté d’utile à ces solutions imparfaites du problème. Pendant ce temps, l’artillerie de marine, dotée du canon obusier à la Paixhans, était devenue de plus en plus redoutable pour les murailles en bois des navires. Voici ce qu’écrivait à cet égard Paixhans, dans l’ouvrage que nous venons de citer.

« Les boulets massifs sont ce qu’il y a de plus convenable pour enfoncer les murailles de pierre d’un rempart, mais les boulets chargés de poudre et d’artifice sont ce qu’il y a de mieux pour faire sauter en éclats et pour incendier des forteresses de bois qui, pendant le combat, offrent, dans leur intérieur, une circulation active de munitions inflammables et une foule de combattants entassés qui souffriraient prodigieusement des effets du projectile creux. Nous combattons avec du fer et de la poudre ; ne nous bornons donc pas à lancer seulement du fer, lançons aussi de la poudre, puisque le fer peut en contenir, et lorsque le fer et le feu se réuniront par une explosion foudroyante au milieu d’un vaisseau, le combat en sera plus promptement terminé. »

Ce rôle formidable promis à la nouvelle artillerie se manifesta, comme nous l’avons dit, avec une cruelle évidence, aux débuts de la guerre de Crimée. En 1854, on vit la flotte russe, armée de canons obusiers, dépecer et incendier, avec une rapidité effrayante, la flotte turque, réfugiée dans le port de Sinope.

Avec un pareil armement, on ne pouvait plus se flatter de voir des vaisseaux attaquer des fortifications de terre, ni pouvoir eux-mêmes résister à l’artillerie nouvelle. Il fallait, à tout prix, défendre la carcasse des navires contre les formidables effets des obus et des bombes.

C’est à la France qu’il était réservé de combler cette importante lacune militaire. Personne n’ignore que c’est sur l’initiative et sur les indications de l’Empereur Napoléon III, que furent conçues et exécutées les premières batteries flottantes cuirassées. Une commission, composée de MM. Garnier, inspecteur général du génie maritime, Favé, aide de camp de l’Empereur, aujourd’hui général d’artillerie, et Guyesse, directeur des constructions navales, fut chargée par l’Empereur d’étudier les détails de la construction de batteries flottantes cuirassées.

Après diverses expériences sur la nature et l’épaisseur du revêtement métallique à employer comme défense de ces batteries flottantes, on s’arrêta à l’application de larges plaques de fer doux (fer pur), de 10 centimètres d’épaisseur, fixées par des vis à bois, contre les murailles du bâtiment. Le pont superposé aux canons des batteries, était en bois ; mais il était formé de poutres très-rapprochées, à l’imitation des blindages de bois qui servent à la défense des places, et qui ont été adoptés dans l’artillerie, à la suite d’expériences multipliées, comme extrêmement propres à faire ricocher les projectiles qui tombent à leur surface.

C’est d’après ces principes concernant le mode de blindage, que M. Guyesse rédigea le plan de l’exécution des batteries flottantes cuirassées.

Mises en chantier au mois de septembre 1854, les cinq batteries : Congrève, Dévastation, Foudroyante, Lave et Tonnante, étaient prêtes à agir le 5 juillet 1855.

Ces masses noires et massives n’avaient pas été destinées par le constructeur, à tenir la mer ; mais elles avaient l’avantage, précieux

  1. Nouvelle force maritime, chapitre II.