Page:Figuier - Les Merveilles de la science, 1867 - 1891, Tome 3.djvu/538

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

L’amiral de Mackau, ministre de la marine, et le prince de Joinville suivirent d’un œil attentif et encouragèrent les travaux par lesquels l’ingénieur que M. Thiers a appelé depuis « un constructeur de génie » débuta dans la carrière où il allait hériter de la renommée des Sané et des Forfait et, pour une nouvelle ère navale, créer des traditions nouvelles.

L’idée, l’œuvre qui fonda la réputation de M. Dupuy de Lôme, c’est la création du premier grand navire de guerre à vapeur et à grande vitesse.

La construction du vaisseau mixte, muni seulement d’une machine auxiliaire à faible puissance, préoccupait seule l’attention des gouvernements et des conseils maritimes qui n’apercevaient pas comme, possible la solution du vaisseau rapide ayant la vapeur comme moteur principal. En France, ce fut à la fin de l’année 1846 que le ministre de la marine publia le programme d’un concours pour l’addition d’une machine auxiliaire à nos vaisseaux à voiles.

M. Dupuy de Lôme, sans s’arrêter aux termes de ce programme qui ne demandait que l’application d’une force modérée de vapeur à l’ancien vaisseau à voiles, pour accélérer des chasses ou des retraites, ou triompher du calme et des courants, se détermina à faire les plans et les calculs d’un vaisseau de 90 canons d’un nouveau modèle auquel la vapeur pût donner une vitesse égale ou supérieure à celle qu’on avait obtenue pour les bâtiments légers les plus rapides, et qui portât, avec cent coups à tirer pour chacune de ses 90 bouches à feu, un approvisionnement de vivres de trois mois pour 850 hommes d’équipage. En même temps il laissait à son vaisseau presque toute sa voilure, pour ne pas perdre la force gratuite du vent. Les plans et les calculs de M. Dupuy de Lôme furent présentés au Conseil d’amirauté au mois d’avril 1847, par ordre de M. Guizot, chargé du portefeuille de la marine par intérim, et au mois de janvier 1848, le projet reçut une approbation définitive, sauf modification du système de la machine qu’on ne voulut pas alors laisser exécuter à mouvement direct sans engrenages.

Il fut décidé que le vaisseau nouveau serait construit à Toulon, sous la direction de l’auteur, M. Dupuy de Lôme lui-même. La machine, forte de 960 chevaux, dut être fabriquée dans l’arsenal d’Indret, sur les plans de M. Moll, officier du génie maritime. Le vaisseau et sa machine furent achevés en deux ans ; et, pendant l’été de 1850, au moment où la Commission législative d’enquête de la marine était à Toulon, on mit à l’eau le navire qui reçut d’abord le nom de 24 Février et qui s’est appelé depuis le Napoléon.

Sa longueur à la flottaison est de 71m,23 ; sa plus grande largeur, de 16m,80 ; son tirant d’eau moyen, de 7m,85 ; et le volume de sa carène, dans l’état d’armement complet, de 5 120 tonneaux. La batterie basse est élevée de 2m,03 au-dessus de la flottaison dans son état de charge complète, hauteur qu’on a jugé suffire pour le combat, même par une mer assez grosse.

…… À la mer, en campagne, il devait dépasser toutes les espérances. On se rappelle avec quel orgueil nous l’avons vu, au passage des Dardanelles, en 1853, remorquer, enlever en dépit du courant et du vent le vaisseau la Ville-de-Paris, qui portait le pavillon de l’amiral Hamelin, tandis que l’amiral Dundas sur le Britannia, restait au loin, impuissant à refouler le vent et le courant ainsi que tous les vaisseaux de l’escadre anglaise ! Un peu plus tard, même avec la moitié de ses feux seulement, il bat de vitesse les navires employés à approvisionner ou à renforcer l’armée ; et ici le gain de vitesse, c’est une économie précieuse. Une fois il entra au port de Kamiesch, remorquant depuis le Bosphore quatorze bâtiments chargés de troupes et de matériel.

Durant son très-court séjour au ministère, en 1834, M. Ch. Dupin avait fondé et chargé l’Académie des sciences de décerner un prix national de 6 000 fr. à celui ou ceux qui feraient de la façon la plus utile et la plus complète l’application de la vapeur à la marine militaire. Ce prix, qui demeura près de vingt ans sans vainqueur, fut décerné en 1853, lorsque le Napoléon eut montré ce qu’il était et comment il se comportait à la mer. L’Académie en fit trois parts : l’une, accordée à M. Dupuy de Lôme, pour la construction de son navire ; l’autre, à M. Moll, pour la confection des mécanismes du moteur ; la troisième, à M. Bourgeois, pour ses heureux travaux sur l’hélice ; mais, quelque réels que soient les titres de MM. Bourgeois et Moll et quelque heureux qu’il ait été pour M. Dupuy de Lôme de trouver de tels auxiliaires, c’est son nom seul que la mémoire de la foule retiendra à bon droit comme l’auteur de la création du vaisseau à vapeur à grande vitesse, dont il a eu la pensée et dont il a réalisé la construction, malgré les doutes et les oppositions les plus vives qui d’abord accueillirent son entreprise.

Au moment où les marins de tous les pays avaient le regard attaché sur le chef-d’œuvre qui était sorti de notre grand port du Midi, et qu’il allait falloir imiter dans tous les chantiers de l’Europe, l’architecte naval qui en était l’auteur venait à peine d’être nommé ingénieur de première classe.

En 1855, M. Dupuy de Lôme reçut une grande médaille d’honneur à l’exposition universelle de Paris. Le rapport du jury s’exprime ainsi :

« Devançant les conceptions des génies les plus hardis, alors que l’hélice ne faisait encore dans la marine qu’une entrée timide, M. Dupuy de Lôme a conçu et construit le premier vaisseau à hélice à grande vitesse, et, triomphant autant des difficultés matérielles que des préjugés les plus enracinés, il a procuré à la France l’honneur d’avoir créé le premier type de ces machines de guerre qui, en un si