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petit nombre d’années, ont transformé la science maritime. »

À cette même époque, M. Dupuy de Lôme faisait exécuter sous sa direction, au port de Toulon, le vaisseau l’Algésiras, sur le même modèle de navire que le Napoléon, mais avec une machine nouvelle plus simple que celle du Napoléon, que M. Dupuy de Lôme fut cette fois autorisé à construire lui-même dans les ateliers de ce port.

La machine de l’Algésiras, à mouvement direct, au lieu d’être munie d’un engrenage multiplicateur du nombre de tours comme la machine du Napoléon, a pesé 320 tonnes de moins, c’est-à-dire 630 tonnes au lieu de 950, et les vitesses de l’Algésiras ont été les mêmes que celles du Napoléon avec un armement plus puissant en artillerie et plus d’approvisionnement.

Après les succès du Napoléon et de l’Algésiras, on construisit dans nos différents ports, sur le même modèle, les vaisseaux l’Arcole, l’Impérial, le Redoutable, l’Intrépide, la Ville-de-Bordeaux, la Ville-de-Nantes, la Ville-de-Lyon.

Pendant qu’il donnait cette énergique impulsion aux travaux de la flotte militaire, M. Dupuy de Lôme était en même temps ingénieur consultant de la Compagnie des services maritimes des messageries impériales et lui fournissait les plans des paquebots que la Compagnie a fait construire de 1852 à 1857, paquebots qui eurent tous un succès des plus complets.

En 1857, M. Dupuy de Lôme, qui, depuis dix-sept ans, était chargé des travaux des navires à vapeur au port de Toulon, fut appelé à Paris comme directeur du matériel de la marine.

Mais nous n’avons encore exposé qu’une partie des titres qui le faisaient appeler à cette fonction importante. Après avoir doté la marine militaire du type du vaisseau rapide, il eut l’ingénieuse idée, lorsqu’il fut décidé qu’on transformerait la flotte de guerre, d’utiliser les anciens bâtiments à voiles et, au lieu de leur appliquer seulement une petite machine impuissante, de les couper par le milieu en écartant l’avant et l’arrière, et d’installer dans leurs flancs reconstruits des appareils à vapeur de la même puissance que celui du Napoléon.

L’Eylau est le premier vaisseau sur lequel ait été pratiquée cette opération hardie. Tous ceux de nos vieux vaisseaux qui furent jugés en assez bon état sont passé par la même métamorphose. Ainsi disparurent les belles œuvres des constructeurs du commencement de ce siècle ; mais au moins, sous leur forme nouvelle, ces nobles instruments de la gloire de la patrie acquirent la vitesse et avec elle la faculté de livrer des combats utiles, et la carrière n’a pas été fermée devant eux.

Cette résurrection des anciens vaisseaux, cette appropriation de nos armes d’autrefois aux nécessités nouvelles de la guerre maritime n’est pas le fruit d’une pensée sans grandeur.

M. Dupuy de Lôme a attaché son nom à une création d’un autre genre.

C’est de la guerre de Crimée seulement que date l’emploi du fer comme revêtement extérieur de la partie supérieure des vaisseaux de guerre. Lorsqu’après le combat du 17 octobre 1854, livré par les deux flottes aux fortifications de Sébastopol, on se fut assuré de l’insuffisance des vaisseaux de bois pour de semblables attaques, l’Empereur imagina en France de faire des batteries flottantes revêtues de fer. Ces batteries flottantes qui, sans doute, ne pouvaient être considérées comme des bâtiments de marche et d’évolution, n’en firent pas moins merveille devant Kinburn. Leur succès fit concevoir à plusieurs esprits à la fois la pensée de créer des navires véritables qui porteraient de même une cuirasse. Il paraît certain que personne, dans cette partie si intéressante encore de la transformation des anciennes flottes, n’a devancé M. Dupuy de Lôme.

En 1856, au retour des batteries flottantes de la mer Noire, il présenta les plans d’une frégate préparés depuis longtemps, et qu’il n’eût osé produire si la création du Napoléon ne lui avait pas alors valu les plus éclatants éloges. Néanmoins, l’entreprise était si nouvelle et pouvait être si hasardeuse qu’il y eut à vaincre bien des résistances pour que l’exécution d’une frégate revêtue de fer fût décidée. L’Empereur aura l’honneur de s’être prononcé pour l’expérience, avec la certitude de la voir réussir.

M. Dupuy de Lôme, pour la seconde fois, se trouva dans le cas de donner à la marine un navire entièrement inconnu avant lui, et de prouver qu’il était, suivant l’expression de M. Thiers, « un constructeur de génie ».

En présentant le plan de la Gloire, M. Dupuy de Lôme insistait sur cette considération, que l’adoption de ce type, profondément nouveau et inattendu, devait faire tendre notre matériel naval vers l’équilibre des forces maritimes chez toutes les nations. L’inventeur a clairement motivé lui-même cette pensée, et en a développé les conséquences, à un point de vue tout français, dans une savante et remarquable Notice :

« N’est-il pas en effet incontestable, dit M. Dupuy de Lôme, que moins les navires de combat pourront se détruire facilement entre eux, moins sera prononcé l’avantage de la nation maritime qui peut, pendant une guerre, disposer de la flotte la plus nombreuse, et renouveler plus facilement son matériel et son personnel. On peut même dire qu’avec des escadres ou des croiseurs rapides et in-