Page:Figuier - Les Merveilles de la science, 1867 - 1891, Tome 3.djvu/586

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Ainsi l’emploi de la cuirasse tendra à égaliser les forces maritimes des nations les plus disparates par leur importance. Ce ne sera plus tant la grandeur des États, mais leur degré d’industrie qui fera désormais la puissance navale. Il y aura là un double progrès, puisqu’en même temps que les combats sur mer seront moins meurtriers, leur prévision entraînera un développement considérable des forces industrielles de chaque nation, développement qui profitera à l’industrie métallurgique et à la science de l’ingénieur.

Mais pourquoi éviterions-nous de le dire, pourquoi hésiterions-nous, comme Français et patriote, à nous en applaudir ? La cuirasse sera surtout fatale à l’Angleterre. Cette puissance a, d’ailleurs, parfaitement compris cette vérité. Malgré son génie maritime, malgré ses richesses et les nombreuses colonies qu’elle possède partout, elle sent bien qu’elle a perdu cette ancienne supériorité navale qu’elle devait au nombre de ses vaisseaux de bois et à la quantité de matelots qui les montaient. Son despotisme, qui s’exerçait depuis des siècles sur toutes les mers, ne tenant compte ni des droits ni des protestations d’aucun peuple, est désormais ébranlé. Le nombre considérable et le grand développement de ses colonies lui sera, à l’avenir, plutôt funeste qu’utile, en la forçant à diviser ses forces sur toute la surface des mers, dans le cas où une guerre éclaterait entre elle et un autre grand État, comme la France ou les États-Unis.

On peut donc dire que le temps de puissance et de splendeur à la faveur duquel l’Angleterre a monopolisé le commerce du globe, est passé pour elle. En revanche, et selon les droits de l’égale justice, aucune nation ne pourra profiter, à son avantage exclusif, de cette déchéance, ni jamais atteindre à la suprématie qui fut trop longtemps l’apanage de la fière Albion.

Ce qu’il y a de singulier, pour terminer par une vue rétrospective, c’est que cette révolution dans la tactique navale, qui produira une transformation dans l’équilibre des forces réciproques des nations modernes, ne constitue, au fond, qu’un retour aux habitudes des temps passés. Avant l’invention et l’usage général de la poudre à canon, les hommes d’armes étaient bardés de fer ; aujourd’hui ce sont les navires qui s’enveloppent d’armures et de cuirasses. Ces moyens de défense, qui avaient dû disparaître devant la puissance de la poudre à canon, sont repris aujourd’hui ; et si on ne les adapte pas, comme au Moyen Âge, au corps des hommes et des chevaux, on les emploie comme moyen actif de protection pour les navires et les fortifications des places. Il y a là un intéressant sujet de réflexions philosophiques, que nous abandonnons à l’imagination du lecteur.

fin des bâtiments cuirassés.