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fermaient le passage, et les poissons demeuraient captifs dans les viviers du riche patricien de Rome.

Ce même Lucullus, nouveau Xerxès (selon l’expression de Pompée, que Pline nous a conservée), fit pratiquer une tranchée dans toute l’épaisseur d’une montagne, aux environs de Pouzzoles, pour introduire l’eau de la mer dans ses viviers. Il retenait ainsi les poissons qui s’introduisaient dans cette anse artificielle, au moment du frai, et il s’assurait par conséquent toute la génération de ces phalanges captives.

Varron nous apprend que les patriciens romains divisaient leurs piscines en divers compartiments, où étaient parquées des espèces différentes de poissons. Ces espèces étaient apportées de distances quelquefois extraordinaires, de la Sicile, de la Grèce, de l’Espagne, et même de la Bretagne. Optatus Elipertius, commandant de la flotte de Claude, apporta de la mer Carpathienne une grande quantité de Scares, poissons jusqu’alors inconnus à Rome. Il les répandit le long des côtes de la Campanie, et pendant cinq ans, pour laisser à ces nouveaux et précieux habitants de la Méditerranée, le temps de multiplier, il fit surveiller les filets des pêcheurs, afin que les Scares qui s’y prendraient fussent rendus à la mer.

La nourriture des poissons qui peuplaient ces bassins, entraînait des frais immenses. D’après Varron, Hirrius dépensait un revenu de 12 millions de sesterces pour l’entretien de ses viviers.

Aux temps dégénérés de l’Empire, on vit faire de véritables folies à l’occasion des Murènes. On consacrait des sommes énormes à l’entretien des viviers qui renfermaient ces espèces d’Anguilles. Elles s’étaient tellement multipliées dans les piscines, que César, à l’occasion d’un de ses triomphes, distribua six mille Murènes à ses amis.

Licinius Crassus était célèbre à Rome, par la richesse de ses viviers de Murènes. Elles obéissaient, dit-on, à sa voix, et quand il les appelait, elles s’élançaient vers lui, pour recevoir de sa main leur nourriture. Ce même Licinius Crassus et Quintus Hortensius, autre riche patricien de Rome, pleuraient la perte de leurs Murènes, lorsqu’elles mouraient dans leurs viviers.

Personne n’ignore que, poussant jusqu’à la plus indigne cruauté le désir de satisfaire la passion d’une gourmandise raffinée, Vadius Pollion, riche affranchi romain, l’un des favoris d’Auguste, faisait jeter des esclaves dans son vivier, pour les faire servir à la nourriture des Murènes, d’après ce préjugé que les Murènes nourries de chair humaine étaient un mets divin.

Un jour, comme Pollion recevait à dîner l’empereur Auguste, un pauvre esclave qui le servait eut le malheur de briser un vase précieux. Aussitôt Pollion ordonna qu’on le jetât aux Murènes. Mais l’empereur donna la liberté à l’esclave ; et pour manifester à Pollion l’indignation qu’il ressentait de sa conduite, il fit briser tous les vases précieux que le riche affranchi avait réunis dans sa maison.

Les folies qu’entraînait la passion des viviers chez les patriciens de Rome, ruinèrent des familles entières et appauvrirent les côtes de la Méditerranée, au point que Juvénal se plaignait qu’on ne donnât plus aux poissons de la mer Tyrrhénienne le temps de grandir.

Les soins extraordinaires que les riches et inutiles voluptueux de ce temps apportaient à la conservation et à la multiplication des poissons dans leurs viviers, ont-ils contribué en quelque chose à la découverte de la pisciculture ? On l’a cru pendant quelque temps. Sur l’autorité d’un savant archéologue, M. Dureau de la Malle, on a dit que la fécondation artificielle était en usage chez les Romains, et que même ils avaient obtenu des métis de poissons. Mais quand on a relu avec attention le texte de Varron et de Columelle, on s’est assuré que rien n’indique que les Romains aient eu connaissance du pro-