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d’estime apparente, ne sollicitaient rien moins qu’une destitution.

« Lorsque, disait-il, la nécessité de ses affaires qui sont d’importance majeure, permettra au citoyen Lebon de reprendre ses fonctions, on pourra proposer au ministre de le placer dans un autre département, où les talents mûris par l’expérience de cet ingénieur, pourront être très-utiles au service. »

Fig. 60. — Philippe Lebon.

Les dénonciations de son chef parurent mériter une enquête contre Lebon. Une commission qui fut nommée pour examiner les griefs articulés contre lui, déclara « l’ingénieur Lebon à l’abri de tous reproches. »

Il est certain que tout occupé de son projet pour la création de l’éclairage au moyen du gaz extrait du bois, Lebon quittait trop souvent les chantiers de la Charente, et qu’il allait tantôt à Paris, tantôt dans sa retraite de Brachay, perfectionner sa découverte. C’est ce que l’on peut reconnaître dans la lettre suivante, qu’il adressait au Ministre, à l’occasion des plaintes que continuait de formuler contre lui son ingénieur en chef. Cette lettre passionnée peint parfaitement le caractère de notre inventeur, et donne, en même temps, un digne spécimen du style en usage dans ces temps d’agitation et de fièvre publique.

« Ma mère, écrit Philippe Lebon au Ministre, venait de mourir ; par suite de cet événement, j’ai été forcé de me rendre précipitamment à Paris… Tel est le caractère de ma faute. L’amour des sciences et le désir d’être utile l’a encore aggravée. J’étais tourmenté du besoin de perfectionner quelques découvertes… Enfin j’avais eu le bonheur de réussir, et d’un kilogramme de bois j’étais parvenu à dégager, par la simple chaleur, le gaz inflammable le plus pur, et avec une énorme économie et une abondance telle, qu’il suffisait pour éclairer pendant deux heures avec autant d’intensité de lumière que quatre à cinq chandelles. L’expérience en a été faite en présence du citoyen Prony, directeur de l’École des ponts et chaussées ; du citoyen Lecamus, chef de la troisième division ; du citoyen Besnard, inspecteur général des ponts et chaussées : du citoyen Perard, un des chefs de l’École polytechnique… J’étais heureux, parce que je me promettais de faire hommage au Ministre du fruit de mes travaux ; un mémoire, qui avait déjà obtenu l’approbation du citoyen Prony et de plusieurs savants, sur la direction des aérostats, devait également vous être présenté lorsque les mêmes affaires m’ont rappelé à Paris. Il fallait qu’elles fussent bien impérieuses pour m’arracher d’occupations qui faisaient mes délices ! Mais qu’elles seraient affreuses, si elles me forçaient d’abandonner un corps dans lequel les chefs ont bien voulu couronner mes premiers efforts par les divers prix, et me confier le soin d’y professer successivement toutes les parties des sciences suivies dans l’École des ponts et chaussées ! Je ne puis me persuader que les circonstances où je me trouve, la fureur de cultiver les sciences, d’être utile à la patrie et de mériter l’approbation d’un ministre qui ne cesse de les cultiver, d’exciter, d’appeler et d’encourager les sciences, et qui m’a même rendu en quelque sorte coupable, puisse me faire encourir une peine aussi terrible. Je vais me rendre à Paris : la plus affreuse inquiétude m’y conduit, mais l’espérance m’y accompagne. »

Le Ministre de l’intérieur, à qui Lebon s’adressait, comprit que la fièvre d’esprit d’un inventeur ne lui permet pas toujours de plaire à tout le monde. Il rendit à Philippe Lebon la justice qu’il méritait, et le renvoya à son poste, avec de bonnes paroles.