Page:Figuier - Les Merveilles de la science, 1867 - 1891, Tome 4.djvu/119

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dans l’intérieur des maisons, en présence de tant de matières sujettes à l’incendie, c’était évidemment heurter toutes les habitudes reçues, et provoquer des craintes sans nombre, assez fondées, d’ailleurs, à une époque où l’expérience n’avait encore rien appris sur l’innocuité de telles dispositions.

Ces premières difficultés auraient pu, à la rigueur, s’évanouir devant la pratique, si le gaz proposé avait offert dans ses qualités des avantages évidents. Mais, obtenu par les procédés mis en usage à cette époque, le gaz extrait de la houille présentait toutes sortes de défauts. Son odeur était fétide ; il attaquait les métaux ; il donnait naissance, en brûlant, à de l’acide sulfureux ; enfin, on ne connaissait pas les moyens de prévenir les explosions qu’il occasionne lorsqu’il se mélange accidentellement avec de l’air atmosphérique.

Toutes ces conditions si défavorables auraient fait reculer le spéculateur le plus hardi : elles n’arrêtèrent pas Winsor. En effet, tout semblait se réunir chez cet homme singulier, pour en faire le type de l’industriel audacieux, qui, loin de céder aux résistances que soulèvent contre lui les intérêts contraires, y trouve un motif de plus de persister dans ses desseins, et qui, à force de hardiesse, de persévérance et de courage, par l’exagération de ses assertions et de ses promesses, finit par contraindre l’opinion de plier à ses vues. Tout ce que Winsor avança d’affirmations téméraires, de promesses chimériques, est presque inimaginable. Cependant ne blâmons pas trop haut ces manœuvres : c’est à elles que nous devons le rapide établissement de l’éclairage au gaz en Europe.

Winsor publia à Londres, en 1804, le prospectus d’une compagnie nationale « pour la lumière et la chaleur. » Il promettait à ceux qui prendraient une action de 100 francs, dans sa compagnie, un revenu annuel de 12 450 francs, lequel, ajoutait-il, était probablement destiné à atteindre un jour dix fois cette somme. Comme on avait manifesté la crainte que l’extension de son système d’éclairage n’amenât peu à peu l’épuisement des mines de houille, Winsor déclarait, avec assurance, que le coke, résidu de la distillation de la houille, donnerait deux fois plus de chaleur en brûlant, que le charbon qui l’avait fourni !

Le capital de 1 250 000 francs, demandé par Winsor, fut entièrement souscrit ; mais cette somme, au lieu de produire les revenus fabuleux que l’on avait annoncés, fut tout entière absorbée par les expériences.

Winsor ne se découragea pas. Appuyé par une commission de vingt-six membres, choisis parmi ses anciens actionnaires, et qui se composait de banquiers, de magistrats, de propriétaires, d’un médecin et d’un avocat, il enchérit si bien sur ses premières affirmations, qu’il se fit accorder une somme de 480 000 francs pour continuer ses expériences.

Mais ce premier résultat ne suffisait point. Le grand but à atteindre, c’était d’obtenir une charte royale pour la société. Pour y parvenir, Winsor ne recula devant aucun moyen.

Le problème de l’épuration du gaz était encore bien loin d’être résolu ; les produits qu’on obtenait étaient d’une impureté extrême, leur action fâcheuse sur l’économie vivante était de toute évidence. Cependant Winsor n’hésitait pas à proclamer que le gaz hydrogène extrait de la houille, était doué d’une odeur des plus agréables, et que, loin de redouter les fuites qui pourraient se produire dans les tuyaux conducteurs du gaz, il viendrait un jour où l’on y pratiquerait tout exprès une petite ouverture, afin de pouvoir respirer continuellement son odeur. À l’entendre, le gaz était encore un remède excellent ; il jouissait de puissantes propriétés sédatives contre les irritations de poitrine.