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autour de l’île de Grenade, autre île du même archipel, dont le sol basaltique renferme un volcan éteint.

Le docteur Nugent, qui a visité le lac de la Trinidad, a donné la relation suivante de ce qu’il observa dans cette excursion :

« À une certaine distance, on dirait un grand bassin d’eaux mortes, rempli d’îlots, d’ajoncs et d’arbrisseaux ; en arrivant auprès, on est tout surpris de se trouver en présence d’un lac immense de goudron minéral, ayant une couleur cendrée, et entrecoupé, çà et là, par des crevasses remplies d’eau. Lors de notre visite, la surface avait assez de consistance pour nous porter, ainsi que les quelques animaux qui nous accompagnaient et qui purent y brouter en toute sécurité. Cependant elle n’était pas tellement dure qu’elle ne conservât parfois l’empreinte de nos pas. Mais, à l’époque de la sécheresse, la résistance est moins grande et la matière doit approcher de l’état fluide, comme semblent l’indiquer les troncs et branches d’arbres récemment enveloppés de bitume et qui, auparavant, dépassaient le niveau d’une hauteur de 30 centimètres.

« Les crevasses qu’on aperçoit sont très-nombreuses ; elles se ramifient dans toutes les directions, et les eaux qui les remplissent pendant la saison des pluies sont le seul obstacle qui ne permette pas de faire la traversée à pied. La profondeur de ces crevasses est en général, en raison de la largeur : elle a tantôt moins d’un mètre, et tantôt elle est insondable. Chose remarquable, l’eau qu’on en tire est de bonne qualité et sert à l’approvisionnement des habitants du voisinage ; on y trouve même du poisson, et particulièrement une très-bonne espèce de mulet.

« La matière n’a pas partout la même dureté ; ainsi, dans certains endroits, il faut de rudes coups de marteau pour en détacher quelques morceaux, tandis que dans d’autres (et ce sont les plus nombreux ) elle se laisse facilement découper avec une hachette et présente une cassure vésiculaire et huileuse. Il est un endroit où on la trouve à un état assez fluide pour qu’on puisse en puiser dans un vase, et on m’en a indiqué un autre où elle a la couleur, la consistance, la transparence et la fragilité du verre à bouteilles ou de la résine. Quelle qu’en soit la qualité, son odeur est partout la même, c’est-à-dire très-pénétrante et analogue à celle d’un mélange de soufre et de goudron. Au contact d’une lumière, la substance fond comme la cire à cacheter ; elle brûle alors avec une légère flamme et durcit de nouveau dès que cette flamme s’éteint. »

Quelle immense quantité de pétrole a dû s’évaporer, pour laisser un résidu aussi considérable ! Et qui pourrait calculer les quantités, plus grandes encore, qui se sont perdues dans les fleuves, ou déversées directement dans l’Océan !

Il n’est pas rare que les vaisseaux qui doublent le cap Vert, sur la côte occidentale de l’Afrique, presque sous l’équateur (Sénégambie), aient à traverser une nappe d’huile, qui recouvre les flots sur une surface de plusieurs centaines de lieues carrées.

Le même phénomène se montre quelquefois près de l’île de Terre-Neuve, non loin de la côte orientale de l’Amérique du Nord. Sous l’action du soleil, l’huile s’évapore en presque totalité, et le résidu de cette évaporation constitue les globules et rognons de matières solides, que l’on voit, dans ces parages, flotter sur les eaux de la mer.

Ici nous nous arrêterons un instant, pour hasarder l’explication d’un phénomène assez étrange, et qui, jusqu’à ce jour, est resté sans solution. Il s’agit de la véritable origine du produit naturel connu sous le nom d’ambre gris, et qui ne se trouve, comme on le sait, que dans les intestins d’un grand cétacé, le cachalot. On rencontre les masses d’ambre gris dans l’intestin de ce gigantesque mammifère souffleur, mais le plus souvent on les trouve flottant sur la mer, parmi les déjections de l’animal, ou échouées sur les plages. L’explication de la formation de cette substance a été donnée uniformément par les auteurs classiques. « L’ambre gris, dit, par exemple, Moquin-Tandon, se forme en boule dans le tube digestif du cachalot, et il est rendu avec les excréments[1]. » Le même auteur ajoute : « Lorsque les pêcheurs américains découvrent l’ambre gris dans un parage, ils en concluent aussitôt qu’il doit être fréquenté par quelque cétacé[2]. »

Bory de Saint-Vincent dit à ce propos :

« On prétend que les renards sont très-friands de l’ambre, qu’ils le viennent chercher sur les côtes,

  1. Zoologie médicale.
  2. Ibid.