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vue, pour mieux juger de son effet, devint à la fois un objet de satisfaction et d’étonnement pour M. Lenoir. Rapportant tout à l’utilité publique, il fit appeler le sieur Saugrain, chargé de l’entreprise de l’illumination de la ville de Paris.

« Comme un coup d’œil sur cette lampe eût suffi pour découvrir le secret de M. Argand, M. Saugrain jugea de l’effet, mais sans entrer dans la pièce où la lampe était en expérience, et, quoique ce ne fût, pour ainsi dire, qu’un modèle grossièrement exécuté par un ferblantier de Montpellier, cet entrepreneur fut aussi surpris de la grande clarté qu’elle répandait que si elle ne lui eût pas été annoncée.

Fig. 8. — Argand de Genève.

« M. Argand insista à plusieurs reprises sur la défectuosité de cette lampe, quant à la fabrication ; il dit que, se proposant d’aller voir l’Angleterre, il profiterait de son séjour à Londres pour y faire construire, par de bons ouvriers, non-seulement des lampes, mais, ce qui n’était pas moins essentiel, les outils propres à mettre un ouvrier ordinaire en état de les exécuter. M. Lenoir, désirant que cette découverte fût portée à toute sa perfection, le fortifia dans le dessein de faire ce voyage, et l’exhorta à le faire promptement.

« Quelque temps après son départ, MM. Quinquet et Lange présentèrent une lampe à ce magistrat, qui, malgré quelque différence dans les formes, leur dit sur-le-champ que c’était, quant au fond, la lampe de M. Argand.

« La justesse de ce coup d’œil et de ce jugement détermina MM. Quinquet et Lange à déclarer, comme un hommage qu’ils rendaient avec plaisir à la vérité, qu’en effet ils devaient la connaissance du principe physique de leur lampe au rapprochement de diverses phrases qu’ils avaient obtenues de M. Argand, en lui faisant des questions ; qu’ayant appris ensuite qu’il avait commandé des tubes ou cylindres de verre, ils avaient suivi cette trace, et qu’en combinant ce qu’ils purent recueillir à l’égard de ces cylindres avec ce que leur avait dit M. Argand, ils croyaient pouvoir se flatter d’être parvenus à faire des lampes pareilles à celles que ce physicien avait inventées.

« M. Lenoir avertit alors MM. Quinquet et Lange qu’il remarquait une différence considérable entre le modèle et la copie, en ce que la lampe de M. Argand pouvait s’éteindre à volonté et sur-le-champ, au lieu que la leur ne s’éteignait que par degrés, et donnait de la fumée pendant la durée de l’extinction.

« Cependant M. Lenoir, toujours impatient de faire jouir les habitants de la capitale de ce qui peut leur être utile, fit essayer dans la rue des Capucines une lampe que MM. Quinquet et Lange firent faire exprès. Il tombait alors beaucoup de neige : cette circonstance influa sur la diminution de son effet ; mais les réverbères qui éclairaient la même rue partagèrent cette influence ; et il fut constaté qu’ils répandaient autant de lumière que la lampe fournie par MM. Lange et Quinquet.

« M. Lenoir, de qui l’on tient ces faits, a permis de le nommer et de les rendre publics.

« Voilà des faits articulés positivement. MM. Quinquet et Lange n’auront pas besoin, sans doute, qu’on les aide à en tirer les justes conséquences. On cesse de tâtonner dans les ténèbres lorsque la vérité se manifeste dans tout son éclat.

« Que reste-t-il donc de clair et de constant à travers les petits nuages, les petites adresses, les petites subtilités, les petites restrictions mentales qui composent l’arsenal d’attaque et de défense de MM. Quinquet et Lange ? Il reste que, dès 1780, M. Argand fit la découverte de sa lampe et en fit usage pour sa propre utilité dans le plus grand établissement de distillation qui ait jamais existé en France, et qu’il venait d’établir en Languedoc ;

« Qu’il fit une addition à ce modèle fondamental en 1782, pendant la tenue des États, lequel attira l’attention des personnes distinguées qui se rassemblent alors à Montpellier ;

« Qu’au mois de janvier 1783, M. de Joubert fit construire, par un ferblantier de Paris, une lampe semblable à celle qu’il avait si souvent vue en Languedoc, et que, dans la même année, il la présenta à deux ministres ;

« Que ce fut aussi en 1783, que messieurs les intendants du commerce la firent examiner par M. Macquer, de l’Académie des sciences ;

« Que M. Argand, prêt à faire en Angleterre un