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teurs qui ont développé la théorie d’Aristote.

Aussi longtemps que l’école d’Aristote conserva en Europe, le sceptre des sciences et de la philosophie, la théorie précédente fut admise, plus ou moins modifiée dans les détails, mais, au fond, toujours la même. Descartes, le réformateur de la philosophie scolastique, substitua à la théorie aristotélienne une autre conception, plus compliquée, mais conçue, comme celle d’Aristote, sans la moindre étude du phénomène naturel qu’il fallait expliquer.

Descartes décida que les eaux marines s’infiltrent à l’intérieur des continents, et qu’elles viennent se rassembler dans de vastes cavités situées sous les montagnes. Mais comment les eaux de la mer perdent-elles leur salure, et par quelle force particulière s’élèvent-elles sur les sommets d’où elles s’échapperaient ensuite à l’état de sources ? C’est ce qu’il restait à expliquer.

Descartes, qui n’était jamais en défaut d’explications mécaniques, compara la terre à un vaste alambic, dans lequel la distillation de l’eau salée s’opérerait par l’action du feu central. Le sel, disait-il, se dépose au fond des cavernes souterraines, et l’eau, réduite en vapeurs, monte jusqu’à une certaine hauteur, où elle se condense, et sort du flanc de la montagne.

« Les eaux, dit Descartes, pénètrent par des conduits souterrains, jusqu’au-dessous des montagnes, d’où la chaleur qui est dans la terre, les élevant comme en vapeur vers leurs sommets, elles y vont remplir les sources des fontaines et des rivières. »

Cette théorie était séduisante, comme tout ce qui sortait de l’inépuisable imagination de notre immortel philosophe ; seulement c’était une conception de fantaisie.

D’après un autre physicien, La Hire, qui donna cette explication en 1703, l’eau de l’Océan serait dépouillée de ses principes salins par la terre qui agirait à la manière d’un filtre. Ensuite l’eau s’élèverait par capillarité jusqu’à la surface du sol, à peu près comme s’étend la goutte d’encre sur une feuille de papier buvard.

Dans l’hypothèse de Descartes, comme dans celle de La Hire, la nappe liquide souterraine devrait se trouver sensiblement au même niveau que la mer, dont elle était censée provenir. Or, cette égalité de niveau est contredite par les faits. Il existe des puits qui ne fournissent point d’eau, bien qu’ils descendent à une profondeur plus considérable que le prétendu réservoir commun des eaux de notre globe. On peut, en outre, citer des contrées tout entières dont le niveau est inférieur à celui de la mer la plus proche, et qui ne sont nullement inondées, qui ne sont pas même à l’état de marécages. C’est pourtant là ce qu’on devrait observer, si les eaux marines, par une infiltration sans cesse agissante, s’accumulaient à l’intérieur des continents.

D’autres objections pourraient être présentées à cette théorie, mais il serait sans intérêt de les énumérer. Nous voulons seulement montrer, avant de quitter ce sujet, que c’est en adoptant une erreur des anciens que les physiciens du xviie et du xviiie siècle avaient été conduits à aller chercher bien loin, c’est-à-dire dans la pénétration des eaux de la mer, une explication que l’on avait, pour ainsi dire, sous la main.

Sénèque assure, dans ses Questions naturelles que la pluie ne pénètre jamais dans la terre végétale à plus de 10 pieds de profondeur. Des mesures subséquentes conduisirent à des évaluations plus faibles encore de la zone de pénétration des eaux fluviales.

Voici comment s’exprime Arago à ce sujet :

« D’après les expériences de la plupart des physiciens modernes qui se sont occupés de ce genre de recherches, la perméabilité des terres serait encore inférieure à la limite posée par Sénèque. Ainsi Mariotte admet que les terres labourées ne se laissent pénétrer par les plus fortes pluies d’été que de 16 centimètres (6 pouces) ; ainsi La Hire a reconnu qu’à travers la terre recouverte de quelques herbes, la pénétration n’a jamais lieu que jusqu’à 65 centimètres (2 pieds) ; ainsi, d’après le même observateur, une masse de terre nue de 2m,60 (8 pieds) d’épaisseur n’avait pas, après une exposition de quinze