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pour creuser la terre, et à un panier fixé à une corde, pour remonter les déblais. Avec des moyens de travail si élémentaires, les Arabes sont pourtant parvenus à creuser des puits atteignant jusqu’à 80 mètres de profondeur. Seulement, ce n’est qu’au prix des plus grands efforts et des plus sérieux dangers qu’ils descendent à de telles profondeurs.

Fig. 390. — M. Ch. Laurent.

Les puisatiers forment, parmi les Arabes de l’Oued-R’ir, une corporation particulière, qui jouit de certains priviléges et d’une considération qui les attache à leur pénible métier. L’impossibilité d’épuiser les eaux d’infiltration les contraint à travailler fréquemment sous l’eau, et souvent sous des colonnes de 40 à 50 mètres de hauteur. Quelques-uns périssent par suffocation ; les autres meurent de phthisie pulmonaire au bout de peu d’années. Chaque plongeur reste de deux à trois minutes sous l’eau, et il ne fait, dans la journée, que quatre immersions. Le résultat de ce travail, quand le puits est à environ 40 mètres de profondeur, est l’extraction de 30 à 40 litres de déblais.

Le creusement d’un puits opéré dans des conditions si anormales, doit nécessairement marcher avec une lenteur excessive. Plusieurs puits creusés par les indigènes ont exigé jusqu’à quatre et cinq années de travail, et pour celui de Tamerna, on payait aux ouvriers une mesure de blé par mesure de terre extraite.

M. Ch. Laurent, qui a vu les R’tass à l’œuvre, donne la description suivante de la manière dont les puisatiers arabes procèdent à leur pénible travail :

« Près de l’ouverture du puits, dit M. Ch. Laurent, se trouve un feu assez vif où ces plongeurs, la plupart phthisiques et abrutis par l’abus du kif (espèce de chanvre indien qu’ils fument), se chauffent fortement et avec le plus grand soin tout le corps, avant d’entreprendre leur descente. Leurs cheveux sont rasés, et leurs oreilles sont bouchées avec du coton imprégné de graisse de chèvre.

« Ainsi chauffé et préparé, l’homme dont le tour de faire le plongeon est arrivé, descend dans le puits et entre dans l’eau jusqu’au-dessus des épaules. Assujetti dans cette position au moyen des pieds, qu’il fixe aux boisages, il fait ses ablutions, quelques prières, puis tousse, crache, éternue, se mouche, amène sa bouche au niveau de l’eau, fait une série d’aspirations et d’expirations assez bruyantes, et enfin, tous ces préparatifs terminés (ils durent au moins devant les étrangers une dizaine de minutes), il saisit la corde et semble se laisser glisser. Arrivé au fond, à l’aide des mains, ou plutôt d’une main, il remplit le panier qui l’y a précédé. L’opération faite, il ressaisit sa corde des deux mains et remonte. Il est probable que souvent il est obligé de se servir de cette corde ou du poids qui y est fixé pour se maintenir au fond, ayant à vaincre une force ascensionnelle qui tend à le ramener à la surface.

« Quelquefois il arrive que le plongeur est suffoqué, soit avant d’arriver au fond, soit pendant son travail, soit pendant qu’il accomplit son ascension pour revenir au jour. Un de ses camarades, qui, tout le temps que dure son opération, tient attentivement la corde servant de direction et de signal, averti, par quelques mouvements et secousses imprimés à la corde, du danger que court le patient, se précipite à son secours, tandis qu’un autre le remplace à son poste d’observation, qu’il quitte aussi à un nouveau signal pour aller au secours de ses deux confrères, ainsi que je l’ai vu. Trois plongeurs