Page:Figuier - Les Merveilles de la science, 1867 - 1891, Tome 4.djvu/606

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se trouvaient donc ensemble ; deux ayant réclamé du secours dans ce puits de dimensions si restreintes, cette grappe humaine est revenue à la surface, le premier descendu en dessus et le dernier en dessous.

« Le premier mouvement de ceux qui ont été secourus est d’embrasser le sommet de la tête de leur sauveur en signe de reconnaissance. Il est à remarquer que ceux qui plongent au secours de leurs confrères le font instantanément, sans se préoccuper des préparatifs minutieux pratiqués par le premier descendu.

« Sur six plongeurs successifs réunis autour de ce puits, la durée de chaque immersion a varié entre deux minutes, la plus prompte, et deux minutes quarante secondes, la plus longue. Plusieurs officiers supérieurs qui étaient présents avec moi à l’opération m’ont affirmé en avoir vu, l’année précédente, rester trois minutes. On remarquera que la profondeur du puits n’était à ce moment que de 45 mètres ; que l’eau était dormante ; que, sur six plongeurs, deux ont réclamé le secours, et que le résultat de leur travail fut deux coufins de sable, pouvant contenir 8 à 10 litres. Que doit-il donc se passer, lorsque le puits a 80 mètres et que l’eau a un écoulement, quelque léger qu’il soit[1]. »

Il est facile de comprendre que les plus légères difficultés arrêtent et paralysent totalement le travail des R’tass. Dès les premières nappes jaillissantes, la force ascensionnelle de l’eau empêche les plongeurs de forer le sol plus avant. Une couche de terre un peu dure, rencontrée à une certaine profondeur, leur oppose un obstacle insurmontable. Enfin, l’invasion fréquente des sables dans le puits, nécessite de nouveaux forages, pénibles, et souvent infructueux. Aussi, beaucoup de puits creusés par les indigènes sont-ils demeurés inachevés, lorsqu’ils avaient atteint 40 et 50 mètres de profondeur, et au moment où il ne restait plus que quelques mètres à creuser pour arriver à la nappe jaillissante.

Les puits creusés par les R’tass sont carrés ; ils sont toujours d’une faible largeur, qui varie de 0m,60 à 0m,90 de côté. Pour tout revêtement, on se borne à placer dans les parties exposées aux éboulements, un coffrage grossièrement fabriqué en bois de palmier. Aussi l’existence de ces puits est-elle fort éphémère. Le boisage pourrit, et finit par céder à la pression des terres ; les sables font irruption, l’écoulement de l’eau s’arrête, et si les plongeurs ne parviennent pas à réparer ces désastres, à la place du puits qui répandait la fécondité dans la contrée, il ne reste qu’un trou rempli d’une eau corrompue ou d’une boue infecte, formée par les débris macérés des feuilles de palmier.

Pendant la visite d’exploration qu’il faisait, en 1855, à la suite de nos colonnes, M. Charles Laurent excita singulièrement la curiosité des Arabes, en faisant fonctionner devant eux la soupape à boulet, qui sert à désensabler les puits. Il leur prouva que cet instrument, d’une construction très-simple, pourrait dispenser les R’tass de leurs périlleux voyages, car il ramène en une demi-heure, plus de terre et de déblais qu’un plongeur arabe n’en peut extraire en un jour.

Avant de passer en revue les études de M. Charles Laurent, puis la mise en pratique de ses idées sur la situation de la couche de terrain aquifère, nous allons jeter un coup d’œil rapide sur la constitution orographique et géologique des districts de l’Algérie où s’accomplissent maintenant de grands travaux de sondage artésien.

La partie septentrionale, nommée le Tell algérien, est une région montagneuse, coupée de vallées, de vastes plateaux, de sommités plus ou moins abruptes. Cette zone accidentée n’a pas partout la même largeur ; elle est à son maximum sous la longitude de Constantine, où elle s’étend sur un espace de 250 kilomètres. Les couches qui constituent ce terrain sont très-tourmentées et très-variées. Ce sont d’abord, sur la frontière, des roches schisteuses anciennes, auxquelles succèdent en allant vers le sud, des grès

  1. Mémoires sur le Sahara, au point de vue de l’établissement des puits artésiens, in-8. Paris, 1859.