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Bode, les planètes Cérès, Pallas, Junon, Vesta et toute la série des petites planètes télescopiques, aujourd’hui au nombre de plus de cent et dont la liste s’augmente sans cesse. Comme Uranus est deux fois plus éloigné du soleil que Saturne, M. Le Verrier pensa que la nouvelle planète serait elle-même deux fois plus éloignée du soleil qu’Uranus. Cette hypothèse lui fournit donc une évaluation approximative de la distance de l’astre inconnu, qu’il savait d’ailleurs se mouvoir à peu près dans l’écliptique.

Ce premier résultat obtenu, il restait à fixer la position actuelle de l’astre dans son orbite, avec assez de précision pour que l’on pût se mettre à sa recherche. Si la position et la masse de la planète avaient été connues, on aurait pu en déduire les perturbations qu’elle fait subir à Uranus ; mais ici le problème se trouvait renversé : les perturbations étaient connues, il fallait déterminer avec cet élément la position que la planète occupait dans le ciel, évaluer sa masse, trouver la forme et la position de son orbite, et expliquer par son action les inégalités d’Uranus.

Il nous est impossible d’entrer dans aucun détail sur la méthode mathématique suivie par M. Le Verrier, sur les calculs immenses qu’elle a nécessités, les obstacles de tout genre que cet astronome dut rencontrer, et l’habileté prodigieuse avec laquelle il les surmonta. Nous donnerons cependant une idée suffisante des difficultés que présentait l’exécution de ce travail, en disant que ces petits déplacements d’Uranus, ces perturbations, qui étaient les seules données du problème, ne dépassent guère en grandeur de degré, c’est-à-dire, par exemple, le diamètre apparent de la planète Vénus, quand elle est le plus près de la terre. Bien plus, ce n’étaient pas ces perturbations mêmes qui étaient les éléments du calcul, mais leurs irrégularités, c’est-à-dire des quantités encore plus petites et entachées naturellement des erreurs d’observation. Ajoutons enfin que les vrais éléments de l’orbite d’Uranus ne pouvaient être considérés eux-mêmes comme connus avec exactitude, puisqu’on les avait calculés sans tenir compte des perturbations de la planète qu’il s’agissait de chercher.

M. Le Verrier triompha de toutes ces difficultés. Le 1er juin 1846, il annonçait publiquement à l’Académie des sciences ce résultat formel : La planète qui trouble Uranus existe. Sa longitude au 1er janvier 1847 sera de 325 degrés, sans qu’il puisse y avoir une erreur de 10 degrés sur cette évaluation.

Cependant, pour assurer la découverte matérielle de la nouvelle planète, pour en hâter l’instant, il ne suffisait pas d’avoir mathématiquement démontré son existence, et d’avoir assigné, avec une certaine approximation, sa position actuelle. Comme elle avait, jusqu’à ce moment, échappé aux observateurs, il était évident qu’elle devait offrir dans les lunettes l’apparence d’une étoile et se confondre avec elles. Il fallait donc déterminer avec plus de rigueur sa position à un jour donné, c’est-à-dire le lieu du ciel vers lequel il fallait diriger le télescope pour l’apercevoir. M. Le Verrier entreprit cette nouvelle tâche. Trois mois lui suffirent pour exécuter le travail immense qu’elle nécessitait, et le 31 août 1846, il en présentait les résultats à l’Académie des sciences. Dans ce second mémoire il donnait des valeurs plus rapprochées des éléments de la planète ; il fixait sa longitude à 326 degrés ½ au lieu de 325, et sa distance actuelle à trente-trois fois la distance de la terre au soleil au lieu de trente-neuf, comme l’exigeait la loi empirique de Bode.

On a peine à comprendre comment une telle masse de calculs si compliqués put être exécutée dans un si court intervalle. Mais M. Le Verrier avait intérêt à terminer son travail avant la prochaine apparition de la planète, qui devait arriver vers le 18 ou le 19 août. C’était la situation la plus favorable pour l’observer, car ensuite elle serait projetée sur