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des points de l’écliptique de plus en plus rapprochés du soleil, et elle aurait alors disparu pendant plusieurs mois dans l’éclat de ses rayons ; la recherche aurait dû être renvoyée à l’année suivante. Malgré cette hâte excessive, M. Le Verrier n’omit aucun des détails qui devaient inspirer la confiance aux astronomes, et les exciter à rechercher l’astre nouveau dans la place du ciel qu’il désignait. Il annonça que la masse de sa planète surpasserait celle d’Uranus, que son diamètre apparent et son éclat seraient seulement un peu moindres, de telle sorte que non-seulement on pourrait l’apercevoir avec une bonne lunette, mais encore qu’on la distinguerait sans peine des étoiles voisines, grâce à son disque sensible ; il ajoutait enfin que pour la découvrir, il fallait la chercher à 5 degrés à l’est de l’étoile δ du Capricorne.

Dès ce moment, et de l’aveu de tous les astronomes, la planète était trouvée. En effet, sa découverte physique ne se fit pas attendre. Le 18 septembre 1846, M. Le Verrier annonçait ses derniers résultats à l’observatoire de Berlin. L’un des astronomes, M. Galle, reçut la lettre le 23. Par une coïncidence bien singulière, M. Galle avait sous les yeux une carte très-précise de la région du ciel que parcourait la planète. Cette carte, qui fait partie de la grande publication entreprise sous les auspices de l’Académie de Berlin, sortait le jour même de la presse, par le fait d’un hasard heureux, et ne se trouvait encore dans aucun autre observatoire. M. Galle mit aussitôt l’œil à la lunette, la dirigea vers le point indiqué, et reconnut à cette place une petite étoile qui se distinguait par son aspect des étoiles environnantes, et qui n’était pas marquée sur la carte de cette région du ciel, que venait de publier l’Académie de Berlin. Il fixa aussitôt sa position. Le lendemain, cette position se trouvait changée, et le déplacement s’était opéré dans le sens prédit : c’était donc la planète !

M. Galle s’empressa d’annoncer ce fait à M. Le Verrier, qui, le 5 octobre, donna connaissance à l’Académie de l’observation de M. Galle.

Pour juger de la précision avec laquelle M. Le Verrier avait fixé la position de cet astre, il suffit de comparer deux nombres empruntés à ses calculs.

La longitude héliocentrique conclue des observations de M. Galle, le 1er octobre, est 
327° 24′
La longitude héliocentrique calculée d’avance par M. Le Verrier, et annoncée le 21 août, est 
326° 32′
Différence 
0° 52′

Ainsi, la position de la planète avait été prévue à moins d’un degré près.

En présence d’un tel résultat, et quand on considère les immenses difficultés du problème, on ne peut s’empêcher d’admirer la certitude et la puissance de l’analyse mathématique. Quels étaient, en effet, les éléments du calcul de M. Le Verrier ? Quelques oscillations d’une planète observée seulement depuis un demi-siècle, des déplacements à peine sensibles dont l’amplitude ne dépassait guère de degré, ou, pour mieux dire, les seules différences de ces déplacements. Quelles étaient, au contraire, les inconnues à dégager ? La place, la grandeur et tous les éléments d’un astre situé bien au delà des limites de notre système planétaire, d’un corps éloigné de plus de douze cents millions de lieues du soleil, et qui tourne autour de lui dans un intervalle de cent soixante-six ans. Or, ces nombres immenses sortent du calcul avec une valeur très-rapprochée, et le résultat de l’observation ne démontre pas une erreur de un degré dans la détermination théorique.

On se rappelle la sensation que produisit dans le public l’annonce de cet événement scientifique. Sans doute, peu de personnes, même parmi les savants, pouvaient apprécier la véritable importance et la nature des difficultés du travail de M. Le Verrier ; cependant tout le monde comprenait ce qu’il y avait