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d’altitude, nous avons été entraînés par un vent assez vif du nord-est, et aussitôt l’hélice a été mise en mouvement, d’abord à petite vitesse. Quelques minutes après, tous les éléments de la pile montés en tension ont donné leur maximum de débit. Grâce aux dimensions plus volumineuses de nos lames de zinc et à l’emploi d’une dissolution de bichromate de potasse plus chaude, plus acide et plus concentrée, il nous a été donné de disposer d’une force motrice effective de un cheval et demi avec une rotation de l’hélice de 190 tours à la minute.

L’aérostat a d’abord suivi presque complètement la ligne du vent ; puis il a viré de bord sous l’action du gouvernail et, décrivant une demi-circonférence, il a navigué vent debout. En prenant des points de repère sur la verticale, nous constations que nous nous rapprochions lentement, mais sensiblement de la direction d’Auteuil (notre point de départ), ayant une complète stabilité de route. La vitesse du vent était environ de 3 mètres à la seconde, et notre vitesse propre, un peu supérieure, atteignait à peu près 4 mètres à la seconde. Nous avons ainsi remonté le vent au-dessus du quartier de Grenelle pendant plus de quinze minutes.

Après notre première évolution, la route fut changée et l’avant du ballon tenu vers l’Observatoire.

On nous vit recommencer, dans le quartier du Luxembourg, une manœuvre de louvoyage semblable à la précédente, et l’aérostat, la pointe en avant contre le vent, a encore navigué à courant contraire. Après avoir séjourné pendant plus d’une heure au-dessus de Paris, l’hélice a été arrêtée, et l’aérostat, laissé à lui-même, tout en étant maintenu à une altitude à peu près constante, a été aussitôt entraîné par un vent assez rapide. Il passa au sud du bois de Vincennes, et à partir de cette localité il nous a été facile de mesurer par le chemin parcouru au-dessus du sol notre vitesse de translation et d’obtenir ainsi très exactement celle du courant aérien lui-même. Cette vitesse variait de 3 à 5 mètres par seconde ; elle a changé fréquemment au cours de notre expérience. Arrivés au-dessus de la Varenne-Saint-Maur, au moment du coucher du soleil, nous avons profité d’une accalmie pour recommencer de nouvelles évolutions. L’hélice fut remise en mouvement, et l’aérostat, obéissant docilement à son action, remonta avec beaucoup plus de facilité le courant aérien devenu plus faible. Si nous avions eu encore une heure devant nous, il ne nous aurait pas été impossible de revenir à Paris.

L’ascension du 26 septembre 1884 aura donné une démonstration expérimentale des aérostats fusiformes, symétriques, avec hélice à l’arrière, et cela sans qu’il ait été nécessaire de rapprocher dans la construction les centres de traction et de résistance. La disposition que nous avons adoptée favorise considérablement la stabilité du système, sans exclure la possibilité de construire des aérostats très allongés et de très grandes dimensions, qui peuvent seuls assurer l’avenir de la locomotion atmosphérique.

MM. les capitaines Renard et Krebs ont brillamment démontré, d’autre part, que l’hélice pouvait être placée à l’avant, et qu’il était possible de rapprocher considérablement la nacelle d’un aérostat pisciforme auquel elle est attachée ; ils ont obtenu, grâce à l’emploi d’un moteur très léger, une vitesse propre qui n’avait jamais été atteinte avant eux. Nous rendons hommage au grand mérite de MM. Renard et Krebs, comme ils l’ont fait eux-mêmes à l’égard de l’antériorité de nos essais en ce qui concerne l’application de l’électricité à la navigation aérienne. »


Un journal de Paris publia, le 29 septembre 1884, un récit de l’expérience de l’aérostat dirigeable de MM. Tissandier frères. Nous reproduisons cet article (de M. Arsène Alexandre), qui renferme des détails plus circonstanciés que ceux que l’on vient de lire.


« C’est d’Auteuil, dit M. Arsène Alexandre, où leur atelier est installé, 84, avenue de Versailles, que MM. Tissandier se sont élevés à 4 heures 20 minutes de l’après-midi. L’aérostat a accompli des évolutions à droite et à gauche de la ligne du vent. À plusieurs reprises il a remonté pendant quelques minutes le courant aérien. Mais, comme nous l’avions prévu, ce courant est devenu trop fort vers 6 heures pour permettre le retour au point de départ.

Après avoir traversé Paris, MM. Tissandier ont arrêté leur machine électrique, et le ballon a pris la direction du sud-est. Le soleil se couchait lorsque l’on a fait de nouvelles manœuvres de direction au-dessus des environs de Boissy-Saint-Léger. Elles ont eu un plein succès, et la descente s’est effectuée à Marolles-en-Brie, à 6 heures 20 minutes.

Le voyage a duré en tout deux heures.

Il faut ajouter que, pendant toute la durée de l’ascension, l’aérostat a exactement plané à la même hauteur, c’est-à-dire de 400 à 500 mètres d’altitude.

On voit que cette expérience, pour n’avoir pas été exécutée peut-être dans des conditions aussi brillantes et surtout aussi favorables que celles du capitaine Renard, n’en est pas moins digne d’être enregistrée dans les fastes de la science.