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fond de sa nacelle, et, s’il ne périt pas, c’est que Coxvell, tout défaillant lui-même, eut pourtant la force de tirer avec ses dents la soupape, et de provoquer ainsi une descente rapide. — On ne savait donc pas que, quand la respiration vient à lui manquer pour le plus petit espace de temps, l’homme n’a plus conscience de lui-même, et qu’il accomplit alors des actes involontaires, qui sont de véritables suicides ! — Si l’on avait réfléchi à tout cela, on n’aurait pas expédié dans les régions irrespirables un aérostat monté par trois hommes, sans plus de précautions ni de préparatifs que s’il se fût agi d’une ascension en ballon captif.

Nous abrégeons ces réflexions pénibles pour arriver au récit de l’événement.

La mission scientifique aérienne donnée à MM. Crocé-Spinelli, Sivel et Gaston Tissandier, et dont les frais étaient supportés en partie par une souscription recueillie par la Société de navigation aérienne, et pour la plus grande partie par l’Académie des sciences elle-même, était de compléter les données recueillies dans une ascension qui avait été faite, le 23 mars 1874, par Crocé-Spinelli et Sivel, et dans laquelle on avait accompli un voyage de vingt-trois heures au-dessus de toute la France. On avait fait, dans cette belle ascension, d’importantes déterminations météorologiques ; il s’agissait de les compléter à la plus grande hauteur à laquelle on pût parvenir. Il fallait constater s’il existe, à ces hauteurs excessives, de la vapeur d’eau, et quelle est la proportion du gaz acide carbonique. On emportait les mêmes appareils scientifiques qui avaient servi le 23 mars 1874, et l’on partait dans le même ballon. M. Gaston Tissandier devait doser le gaz acide carbonique, au moyen d’un appareil dit aspirateur, et qui se compose d’un tube à potasse, dans lequel on fait passer un volume connu d’air, pour retenir l’acide carbonique. Crocé-Spinelli devait rechercher la vapeur d’eau par des observations spectroscopiques. Sivel, aéronaute de profession, dirigeait l’esquif aérien.

Fig. 531. — Crocé-Spinelli.

Tout le monde connaît le déplorable résultat de ce voyage. Deux heures seulement après le départ, Spinelli et Sivel étaient foudroyés par l’apoplexie pulmonaire, et Gaston Tissandier gisait, à demi mort, près de deux cadavres. Il dut son salut, d’après ce qu’il assure, à ce qu’il tomba en syncope, et que sa respiration fut ainsi suspendue pendant qu’il flottait dans des espaces à peu près vides d’air.

Comment expliquer ce malheur ? D’abord par la quantité insuffisante de gaz oxygène que l’on avait emportée, ensuite par la trop grande rapidité de l’ascension. L’air diminue de masse à mesure que l’on s’élève en hauteur : par conséquent la respiration pulmonaire s’effectue avec d’autant plus de difficulté qu’on est plus élevé au-dessus du sol. La raréfaction de l’air (c’est-à-dire son poids moindre sous le même volume) est déjà telle, à cinq ou six mille mètres, qu’on a de la peine à respirer, et qu’on ne pourrait rester impunément pendant un certain temps