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Elle avait retiré son coude, la table était trop froide et la glaçait, elle tenait ses deux mains crispées à l’étoffe rude de sa jupe.

Alexandre continua impitoyable :

— Comment la trouves-tu ?

— Belle, trop belle…

Et un flot de sang empourpra ses joues.

— Trop belle, Que veux-tu dire ? Laure est aussi bonne, aussi pure que belle.

— Je n’en doute pas, acheva Lucille. Oublie ce que je viens de te dire, tu croirais que je suis jalouse. Tu le sais, ces choses là se devinent facilement, je t’aimais. À quoi bon vouloir te le cacher ? Maintenant que j’ai vu ta belle payse, je comprends que tu n’as jamais pu m’aimer. Si par hasard, ce que je ne suis pas assez méchante pour te souhaiter, elle te délaissait un jour ; si tu avais besoin d’un cœur assez grand pour te consoler : souviens-toi de Lucille Prévoust.

— Tu ne pouvais mieux deviner, ma petite Lucille, Laure est ma payse. Pourtant quand tu as commencé de la jalouser, elle n’était pas encore apparue dans ma vie. Ma payse, mais je ne l’ai connue qu’ici. Comment se fait-il ? je ne me l’explique pas moi-même, que je puisse être passé tout près de cette enfant jolie sans l’avoir remarquée. Et encore, quand un garçon a quinze ou seize ans, il ne pense qu’à se faire un avenir, à devenir quelqu’un, avant de songer à attirer les regards, à éveiller l’amour. Lucille, je te remercie de ton offre généreuse, mais j’espère bien que Laure ne me forcera ja-