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Page:Flammarion - Mémoires biographiques et philosophiques d'un astronome, 1912.djvu/33

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mémoires d’un astronome

marc du pays, kirsch des Vosges, cassis de Dijon, etc.

J’avoue que je fus aussi vexé que stupéfait. J’étais encore crédule, et je l’avais suivi avec conviction. Il me sembla qu’il se moquait de moi, et à six ans, on a, me semble-t-il, autant d’amour-propre que de crédulité. Je restai bouche bée et ne me ressaisis qu’au-dessus de l’escalier.

— Eh bien ! fit-il, avec ses bouteilles à la main et sous le bras, qu’est-ce que tu penses ?

— J’aime mieux la mienne, répondis-je avec dignité.

— Mange ta soupe, ajouta-t-il, et à ton dessert tu auras du vin pur.

Cet amateur du fruit de la vigne était un fort excellent homme, mais sa plaisanterie m’avait paru manquer de respect aux livres, pour lesquels je ressentais une vénération inattaquable et que je considérais déjà comme la plus haute manifestation de la pensée humaine. Pendant tout le reste du repas, il se montra plein d’attentions pour le jeune et fier écolier.

Après une halte de trois heures, autant pour le cheval que pour nous, on se remit en route dans la direction de Châteauvillain, pour entrer bientôt dans la Côte-d’Or et arriver à Courban à l’entrée de la nuit. Souper et coucher. Le lendemain matin, dès le lever du soleil, nous étions en route de nouveau, et nous arrivions à Châtillon-sur-Seine à l’heure du déjeuner. Quels charmants paysages nous avions traversés ! Je voyais un nouveau département : la Côte-d’Or, et les vignes se multipliaient autour de nous. Nous avions traversé la Marne avant d’entrer à Chaumont