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Page:Flammarion - Mémoires biographiques et philosophiques d'un astronome, 1912.djvu/41

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mémoires d’un astronome

L’après-midi, on allait souvent pêcher à la ligne dans l’Armançon. Goujons et ablettes mordaient assez bien. Mais j’y étais le plus maladroit, pensant à autre chose, regardant le miroir de l’eau reflétant le paysage, ou levant la tête pour suivre les oiseaux, trouvant le temps long, lisant quelquefois un livre, que j’avais mis dans ma poche. La passion de la pêche ne peut naître que chez des esprits d’une patience à toute épreuve et dont l’imagination n’a pas d’ailes trop frétillantes.

Depuis cette lointaine époque, j’ai revu souvent ce majestueux et tranquille canal de Bourgogne, bordé de ses hauts peupliers, et cette onduleuse rivière glissant à travers les prairies, avec ses saules, ses oseraies et ses noisetiers. Il n’y a plus d’écrevisses ni dans le canal, ni dans la rivière, et la rivière a certainement perdu le quart de son eau. J’en causais ces jours derniers avec mon érudit ami le président Cunisset-Carnot, de Dijon, et son impression est la même sur la diminution de l’eau des rivières en général, et de l’Armançon en particulier. Tout change, tout passe, tout se modifie, même pendant la vie si courte d’un seul homme.

Ces campagnes étaient alors silencieuses et parfaitement calmes. Maintenant, elles sont traversées par la ligne du chemin de fer de Paris-Lyon-Méditerranée, que l’on construisait précisément à l’époque dont je parle. Non loin de Saint-Vinnemer, vers Lezines, on perçait un tunnel sous la colline, et l’on m’y fit descendre par un puits. Ma première impression fut que les chemins de fer étaient vraiment construits en fer et sous la terre. On en parlait plutôt comme d’une curiosité qué comme d’un événement de grand avenir ;