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Page:Flammarion - Mémoires biographiques et philosophiques d'un astronome, 1912.djvu/44

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la mort, les soldats

— C’est un mort, pardi ! me répondit-il d’un air assez dégagé.

Je m’informai un peu plus, et j’appris que c’était un homme qui avait cessé de vivre, que l’on portait à l’église, puis au cimetière pour l’enterrer.

— Cesser de vivre ! m’écriai-je en moi-même : ce n’est pas possible.

Et j’ajoutai à mon camarade, interloqué :

— Est-ce que je mourrai aussi ?

— Naturellement, répliqua-t-il, tout le monde meurt.

— Ce n’est pas vrai, répliquai-je de mon côté, on ne doit pas mourir.

J’y rêvai plusieurs jours, plusieurs semaines, plusieurs mois. La conviction que la mort n’existe pas a continué de dominer mon esprit, quoique je sache depuis longtemps qu’il meurt un être humain à chaque seconde sur l’ensemble de notre planète. C’est un mystère à résoudre, et l’on n’y est guère plus avancé à soixante ans qu’à sept ans. Mais l’idée innée reste la même. Nous ne pouvons pas être détruits.

Un autre souvenir, bien précis, date à peu près de la même époque. Des régiments passaient quelque-fois à Montigny, avec des billets de logement pour leur étape. Nous avions toujours un officier à recevoir, et ma mère mettait tous ses soins à la table et au logement. Une belle après-midi d’été, après le départ de l’officier qui était arrivé le matin et qui se rendait au café près duquel la musique devait se faire entendre, je demandai à ma mère ce que c’étaient que les soldats et à quoi ils servaient. « À défendre la patrie », me fut-il répondu. Ayant reçu ensuite la définition de la patrie, j’appris qu’il y avait aussi des soldats en Allemagne, en Angleterre,