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Page:Flammarion - Mémoires biographiques et philosophiques d'un astronome, 1912.djvu/45

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mémoires d’un astronome

en Espagne, en Italie, et dans tous les pays, et qu’ils faisaient constamment des exercices pour défendre la patrie. « Contre qui ? demandai-je. — Contre les ennemis. — Quels ennemis ? — Les étrangers. — Alors, maman, nous sommes les étrangers des Allemands et leurs ennemis ? Nous sommes les étrangers des Belges, des Suisses, des Piémontais et leurs ennemis. — Oui, mon enfant, la société est organisée comme cela depuis longtemps. — Tiens ! ajoutai-je, comme c’est drôle d’être ainsi divisés ! Les hommes apprennent à se tuer entre eux. Mais pourquoi fait-on de la musique ? — Tu le demanderas à ton grand-père, qui a été tambour, et il te répondra que Napoléon tenait beaucoup à ce qu’on se batte en musique ».

Alors aussi je m’efforçai de comprendre comment les nations sont nécessairement ennemies les unes des autres et je n’y parvins pas. Je n’y suis pas encore parvenu aujourd’hui. La musique reste toujours pour moi ce qu’il y a de plus intéressant dans tout l’appareil militaire.

Je me disais aussi que, s’il s’agit de résoudre une question d’intérêt ou de rivalité, le droit du plus fort ne prouve rien et reste étranger à la justice, et je ne comprenais pas plus les coups de poing que les duels.

Les hommes naissent avec le sentiment de la justice. Ce n’est pas l’éducation qui imprime ce sentiment dans le cœur des enfants : ils le possèdent naturellement, intuitivement, et souvent l’éducation le fausse en y ajoutant des justices de convention. Un enfant comprendra toujours qu’il reçoit une correction, s’il l’a méritée ; en revanche, il ne pardonnera jamais une correction imméritée. Dans les