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Page:Flammarion - Mémoires biographiques et philosophiques d'un astronome, 1912.djvu/48

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les arbres de la liberté

rencontre jusqu’à l’entrée du village, et la vraie musique militaire faisait entendre ses éclatantes fanfares. Dans l’après-midi, en face l’hôtel du colonel, un concert était donné, et je m’étais arrangé de façon à toujours tenir le carton musical devant le chef d’orchestre. J’avais alors six à sept ans. Jusqu’à l’âge de onze ans, je chantai à l’église, en compagnie de l’instituteur et du curé, toutes les messes, toutes les vêpres, tous les services. Il paraît que je chantais avec une telle conviction que ma voix perçante traversait toute l’église, depuis l’autel jusqu’au portail, même dans les hymnes lugubres du Dies iræ et du Miserere, des services de morts, où des voix profondes de basse-taille eussent été mieux à leur place.

Parmi les souvenirs de cette époque, je ne voudrais pas oublier la plantation solennelle des arbres de la liberté. À Montigny, c’était un jeune peuplier, au pied duquel je vis avec étonnement répandre des sacs d’avoine. Le maire, le conseil municipal, les pompiers, la garde nationale avec la musique, tambours, grosse caisse, cymbales, entouraient l’arbre symbolique, près duquel M. le curé pontifiait en habit de chœur, prononçant des prières spéciales et chantant des strophes auxquelles répondait l’instituteur. La cérémonie fut terminée par l’aspersion d’eau bénite et la bénédiction. Cet arbre ne dura pas longtemps. À l’avènement de l’Empire, on fut invité à les renverser tous (environ 60 000 en France), parce qu’ils rappelaient la République ; celui de Montigny, du reste, ne pouvait subsister, car il était planté sur la côte, juste à l’endroit où l’on a bâti en 1853 une nouvelle mairie remplaçant l’ancienne, devenue insuffisante. Ces arbres de la Liberté de la seconde Répu-