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CORRESPONDANCE

le médecin ! un cancer horrible qui pesait dix livres et que j’ai gardé en bocal, dans de l’esprit-de-vin. Il ne faut pas vouloir donner de remède à tout ; on en retombe de plus haut, avec la rage des gens dupés.

Pour moi, il y a longtemps que je n’en cherche plus pour mon usage. Toute ma médecine est préservative, et je ne crois pas aux préservatifs ! hygiéniques, je veux dire.

J’ai été fort triste depuis trois jours. Était-ce de t’avoir quittée ? Je Le crois, j’en suis sûr. L’ennui d’une maison nouvelle à habiter y est aussi pour quelque chose. Une maison où l’on n’a pas vécu, c’est comme un habit qu’on achète aux brocanteurs ; ça vous gêne et ça vous glace à la fois. Notre cœur et nos membres ne se font pas du premier jour à ce qui les recouvre. Je comprends bien l’usage des Orientaux de ne pas prendre de maison où d’autres ont déjà vécu. Ils s’en font bâtir exprès pour eux, que l’on détruit avec eux à leur mort. À quoi bon s’abriter sous un toit qui a contenu d’autres rêves, d’autres amours et d’autres agonies ! Que chaque mort ait sa bière, et chaque cœur son foyer ! On laisse bien des choses aux murs, aux arbres, aux pavés, partout où l’on passe. À combien de vents divers les cheveux d’un homme encore jeune n’ont-ils pas volé, emportés, tombés ou coupés ? Qui est-ce qui en retrouvera seulement un ? Et du fond du fond, de ce pauvre fond triste et grand, « quid nunc ? », comme dit la formule juridique.

Je ne travaille pas encore. Lundi cependant je profiterai du sommeil de l’ami D[u Camp] pour faire un peu de grec le matin. Demain nous allons