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CORRESPONDANCE

aux flancs quand j’y pense. C’est une des plus belles charges que j’aie vues, soit dit sans calembour. Le surlendemain, en revenant de Rosette, nous avons rencontré les mêmes chameaux qui revenaient d’Alexandrie. En nous apercevant de loin, il prit le large, laissa là ses bêtes et fit un grand détour à pied par le désert afin de nous éviter. Cette aventure nous a considérablement divertis. Du reste, tu ne saurais croire le rôle important que le bâton joue ici ; on y distribue les horions avec une prodigalité sublime, le tout accompagné de cris, les plus couleur locale du monde.

Le soir à six heures, après un coucher de soleil qui faisait ressembler le ciel à du vermeil fondu et le sable du désert à de l’encre, nous arrivâmes à Rosette dont toutes les portes étaient fermées. Au nom de Soliman-Pacha elles s’ouvrirent, en criant lentement comme celles d’une grange. Les rues étaient sombres et si étroites qu’il n’y avait juste la place que pour un cavalier. Nous avons traversé les bazars, dont chaque boutique est éclairée par un verre plein d’huile suspendu par une ficelle, et nous sommes arrivés à la caserne. Le pacha nous a reçus sur son sopha, entouré de nègres qui nous ont apporté des pipes et du café. Après beaucoup de politesses et de compliments, on nous a donné à souper et fait nos lits garnis d’excellentes moustiquaires. À propos de moustiques, j’en suis tigré. Du reste je ne les sens nullement, ce qui est le principal. J’y suis actuellement inaccessible. Ma peau en est tannée ; mais ce qui me désole, c’est que je ne me bronze pas du tout, tandis que Max est déjà aux trois quarts