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CORRESPONDANCE

gué. Ça pouvait être simple, mais en tout cas c’était riche.

Le Parthénon est couleur de brique. Dans certains endroits ce sont des tons de bitume et d’encre. Le soleil donne dessus presque constamment ; quelque temps qu’il fasse, ça casse-brille. Sur la corniche démantelée viennent se poser des oiseaux, faucons, corbeaux. Le vent souffle entre les colonnes, les chèvres broutent l’herbe entre les morceaux de marbre blanc cassés et qui roulent sous le pied. Çà et là, dans des trous, des tas d’ossements humains, restes de la guerre. De petites ruines turques parmi la grande ruine grecque ; et puis, au loin et toujours, la mer !

Parmi les morceaux de sculpture que l’on a trouvés dans l’Acropole, j’ai surtout remarqué un petit bas-relief représentant une femme qui rattache sa chaussure et un tronçon de torse. Il ne reste plus que les deux seins, depuis la naissance du cou jusqu’au-dessus du nombril. L’un des seins est voilé, l’autre découvert. Quels tetons ! nom de Dieu ! Quel teton ! Il est rond-pomme, plein, abondant, détaché de l’autre et pesant dans la main. Il y a là des maternités fécondes et des douceurs d’amour à faire mourir. La pluie et le soleil ont rendu jaune blond ce marbre blanc. C’est d’un ton fauve qui le fait ressembler presque à de la chair. C’est si tranquille et si noble ! On dirait qu’il va se gonfler et que les poumons qu’il y a dessous vont s’emplir et respirer. Comme il portait bien sa draperie fine à plis serrés. Comme on se serait roulé là-dessus en pleurant ! Comme on serait tombé devant à genoux en croisant les mains ! J’ai senti