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CORRESPONDANCE

Si je te revoyais maintenant, il me semble que je t’expliquerais un tas de choses qui me viendraient et que tu comprendrais, et alors tu ne m’accuserais plus, tu ne pleurerais plus. Oh ! si je t’ai fait de la peine, si j’ai ouvert en toi, au lieu de cette source de joie que l’amour extrait des cœurs les plus arides, le lac morne des désespoirs latents, si, voulant t’appuyer sur moi pour y asseoir ton âme, tu n’as trouvé que douleur et amertume, si je t’ai menti enfin, si je te suis la désillusion de ce que tu croyais, ne m’en veux pas ! ne m’en veux pas ! Jamais je n’ai voulu te blesser ; jamais, même au fond, même dans le recoin obscur pour tous, je n’ai eu pour toi un mouvement méchant ; et si j’ai été dur, c’est que je suis malade, va. Souffrant, aigri, la vie m’éreinte comme un trot trop dur qui vous casse les reins. Il n’y a que seul que je ne souffre plus. Les meilleures affections m’irritent souvent démesurément. J’ai beau me retenir, il en sort trop. Je trouve que le monde a raison de me trouver intolérant ; mais il ne sait pas, en revanche, tout ce que je tolère sans rien dire. Adieu, mon amie, adieu. Je serai à Rennes dans 10 jours, et revenu je ne sais quand. Veux-tu que je t’embrasse, hein ? Eh bien, si tu as peur que ça encore ne te remue, sur la main, et détourne la tête.


196. À ERNEST CHEVALIER.
Saint-Malo, 13 juillet 1847.

J’ai reçu ici avant-hier ta lettre qui a voyagé, avant de m’arriver, de Croisset à Rouen, de Rouen