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DE GUSTAVE FLAUBERT.

à Croisset et dans plusieurs villes de la Bretagne. Nous sommes aux deux bouts de la France : toi dans la baie d’Ajaccio, moi dans celle de Saint-Malo : toi en face de l’Italie, nous en face de l’Angleterre. Quoique ce pays soit fort beau, d’un chic âpre et superbe, j’aimerais mieux être de l’autre bord, auprès de cette vieille Méditerranée. Mais maintenant tout voyage m’est à peu près impossible : ma mère n’a plus que moi, que moi seul ; il y aurait cruauté à la quitter. Aussi la pauvre femme, ne pouvant se passer de moi, est venue (comme il en était convenu du reste) me rejoindre à Brest, et nous avons fait tous ensemble les bouts de route qu’il fallait faire en voiture, nous retrouvant ainsi et nous séparant quand il nous plaisait. Nous terminons (hélas !), Max et moi, un voyage qui pour n’être pas au long cours, ce que je regrette, a été une fort jolie excursion. Sac au dos et souliers ferrés aux pieds, nous avons fait sur les côtes environ 160 lieues à pied, couchant quelquefois tout habillés faute de draps et de lit, et ne mangeant guère que des œufs et du pain faute de viande. Tu vois, vieux, qu’il y a aussi du sauvage sur le continent. Mais j’aime mieux la sauvagerie corse. Celle-là du moins a moins de puces et plus de soleil. Or, chaque jour, j’ai de plus en plus besoin de soleil ! Il n’y a guère que ça de beau au monde, ce grand bec de gaz suspendu là-haut par les ordres d’un Rambuteau inconnu !

En fait de monuments, nous en avons beaucoup vu, des celtiques ! et des dolmens ! et des menhirs ! et des peulvens ! Mais rien n’est plus fastidieux que l’archéologie celtique ; ça se ressemble d’une manière désespérante. En revanche, nous