Aller au contenu

Page:Flaubert Édition Conard Correspondance 2.djvu/387

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
381
DE GUSTAVE FLAUBERT.

Ce que je disais des sentiments qui ne passent pas, tu l’as pris pour une allusion au petit présent d’Henriette que j’avais reçu et cela t’a attristé ! J’ai deviné, avoue-le. Eh bien non, je n’ai pas été ému en le recevant et nullement ému même. C’est que je ne m’émeus pas facilement maintenant, et de moins en moins. Elle a tant sonné, ma sensibilité, que j’ai mis du mastic aux fêlures ; c’est ce qui fait qu’elle vibre moins clair.

Sitôt que tu sauras une solution définitive pour le prix, écris-moi.

J’ai fini ce soir de barbouiller la première idée de mes rêves de jeune fille. J’en ai pour quinze jours encore à naviguer sur ces lacs bleus, après quoi j’irai au bal et passerai ensuite un hiver pluvieux, que je clorai par une grossesse. Et le tiers de mon livre à peu près sera fait.

À propos de bal, j’ai fait une débauche mercredi dernier ; j’ai été à Rouen, au concert, entendre Allard le violoniste, et j’en ai vu là des balles ! C’était la haute société. Quelles têtes que celles de mes compatriotes ! J’ai retrouvé là des visages oubliés depuis douze ans et que je voyais quand j’allais au spectacle, en rhétorique. J’ai reconnu du monde que je n’ai pas salué, lequel a fait de même. C’était très fort de part et d’autre. Le plaisir d’entendre de fort belle musique très bien jouée a été compensé par la vue des gens qui le partageaient avec moi. Lis-tu la Bretagne ? Les deux premiers chapitres sont faibles.

Adieu, demain je clorai ma lettre quand Bouilhet sera venu. Mille baisers, chère épouse.

À toi.