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DE GUSTAVE FLAUBERT.

Ce que je disais des sentiments qui ne passent pas, tu l’as pris pour une allusion au petit présent d’Henriette que j’avais reçu et cela t’a attristé ! J’ai deviné, avoue-le. Eh bien non, je n’ai pas été ému en le recevant et nullement ému même. C’est que je ne m’émeus pas facilement maintenant, et de moins en moins. Elle a tant sonné, ma sensibilité, que j’ai mis du mastic aux fêlures ; c’est ce qui fait qu’elle vibre moins clair.

Sitôt que tu sauras une solution définitive pour le prix, écris-moi.

J’ai fini ce soir de barbouiller la première idée de mes rêves de jeune fille. J’en ai pour quinze jours encore à naviguer sur ces lacs bleus, après quoi j’irai au bal et passerai ensuite un hiver pluvieux, que je clorai par une grossesse. Et le tiers de mon livre à peu près sera fait.

À propos de bal, j’ai fait une débauche mercredi dernier ; j’ai été à Rouen, au concert, entendre Allard le violoniste, et j’en ai vu là des balles ! C’était la haute société. Quelles têtes que celles de mes compatriotes ! J’ai retrouvé là des visages oubliés depuis douze ans et que je voyais quand j’allais au spectacle, en rhétorique. J’ai reconnu du monde que je n’ai pas salué, lequel a fait de même. C’était très fort de part et d’autre. Le plaisir d’entendre de fort belle musique très bien jouée a été compensé par la vue des gens qui le partageaient avec moi. Lis-tu la Bretagne ? Les deux premiers chapitres sont faibles.

Adieu, demain je clorai ma lettre quand Bouilhet sera venu. Mille baisers, chère épouse.

À toi.