Page:Flaubert Édition Conard Correspondance 3.djvu/385

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
379
DE GUSTAVE FLAUBERT.

moments, et sur l’homme et sur l’œuvre, sur celle-ci comme sur les autres. J’ai relu Novembre[1], mercredi, par curiosité. J’étais bien le même particulier il y a onze ans qu’aujourd’hui (à peu de chose près du moins ; ainsi j’en excepte d’abord une grande admiration pour les putains, que je n’ai plus que théorique et qui jadis était pratique). Cela m’a paru tout nouveau, tant je l’avais oublié ; mais ce n’est pas bon, il y a des monstruosités de mauvais goût, et en somme l’ensemble n’est pas satisfaisant. Je ne vois aucun moyen de le récrire, il faudrait tout refaire. Par-ci, par-là une bonne phrase, une belle comparaison, mais pas de tissu de style. Conclusion : Novembre suivra le chemin de l’Éducation sentimentale[2], et restera avec elle dans mon carton indéfiniment. Ah ! quel nez fin j’ai eu dans ma jeunesse de ne pas le publier ! Comme j’en rougirais maintenant !

Je suis en train d’écrire une lettre monumentale au Crocodile. Dépêche-toi de m’envoyer la tienne, car voilà plusieurs jours que ma mère a écrit la sienne à Mme Farmer et me persécute pour que je lui donne la mienne, afin de la faire partir.

Je relis du Montaigne. C’est singulier comme je suis plein de ce bonhomme-là ! Est-ce une coïncidence, ou bien est-ce parce que je m’en suis bourré toute une année à dix-huit ans, où je ne lisais que lui ? mais je suis ébahi souvent de trouver l’analyse très déliée de mes moindres sentiments ! Nous avons mêmes goûts, mêmes opinions, même manière de vivre, mêmes manies. Il y a des gens

  1. Voir Œuvres de Jeunesse inédites, t. II.
  2. Voir Œuvres de Jeunesse inédites, t. III.