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CORRESPONDANCE

un ange (un cœur d’élite, etc.). Nous ne sommes ni monstres ni anges. Je voudrais voir un esprit aussi élevé que le tien, chère Louise, dégagé de ce préjugé que tu partages. Vous ne nous pardonnez jamais, vous autres, les filles, et toutes tant que vous êtes, depuis les prudes jusqu’aux coquettes, vous vous heurtez toujours à cet angle-là avec une obstination fougueuse. Vous ne comprenez rien à la Prostitution, à ses poésies amères, ni à l’immense oubli qui en résulte. Quand vous avez couché avec un homme, il vous reste quelque chose au cœur, mais à nous, rien. Cela passe, et un homme de quarante ans, pourri de vérole, peut arriver à sa maîtresse plus vierge qu’une jeune femme à son premier amant. N’as-tu pas remarqué les juvénilités sentimentales des vieillards ? Être jalouse des filles, c’est l’être d’un meuble. Tout se confond en effet dans un océan dont toutes les vagues sont pareilles. Mais vous, vous avez encore vos fleuves taris qui murmurent et dont les courants détournés s’entre-croisent dans l’ombre sous le branchage nouveau. Si tu voulais, je te ferais faire des progrès dans la connaissance de notre sexe, que je ne soutiens nullement, mais que j’explique ; il en est de cette question-là comme de celle de Paris et de la province. Quand on me dit du mal de l’un aux dépens de l’autre, j’abonde toujours dans le sens de celui qui parle et j’ajoute, en finissant, que je pense exactement la même chose de l’autre partie en litige.

Je lis les voyages du Président[1] ; c’est splendide. Il faut (et il s’y prend bien) que l’on en

  1. Réception grandiose du Prince Président à Strasbourg.