les masses à ce degré-là. Le parti pris de donner aux noirs le bon côté moral arrive à l’absurde, dans le personnage de Georges par exemple, lequel panse son meurtrier tandis qu’il devrait piétiner dessus, etc., et qui rêve une civilisation nègre, un empire africain, etc. La mort de la jeune Saint-Claire est celle d’une sainte. Pourquoi cela ? Je pleurerais plus si c’était une enfant ordinaire. Le caractère de sa mère est forcé, malgré l’apparente demi-teinte que l’auteur y a mise. Au moment de la mort de sa fille, elle ne doit plus penser à ses migraines. Mais il fallait [faire] rire le parterre, comme dit Rousseau.
Il y a du reste de jolies choses dans ce livre : le caractère de Halley, la scène entre le sénateur et sa femme Mrs Ophélia, l’intérieur de la maison Legree, une tirade de Miss Cussy, tout cela est bien fait. Puisque Tom est un mystique, je lui aurais voulu plus de lyrisme (il eût été peut-être moins vrai comme nature). Les répétitions des mères avec leurs enfants sont archirépétées ; c’est comme le journal du sieur Saint-Claire qui revient à toute minute. Les réflexions de l’auteur m’ont irrité tout le temps. Est-ce qu’on a besoin de faire des réflexions sur l’esclavage ? Montrez-le, voilà tout. C’est là ce qui m’a toujours semblé fort dans le Dernier jour d’un condamné. Pas une réflexion sur la peine de mort (il est vrai que la préface échigne le livre, si le livre pouvait être échigné). Regarde dans le Marchand de Venise si l’on déclame contre l’usure. Mais la forme dramatique a cela de bon, elle annule l’auteur. Balzac n’a pas échappé à ce défaut, il est légitimiste, catholique, aristocrate.
L’auteur, dans son œuvre, doit être comme Dieu