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Page:Flaubert Édition Conard Correspondance 4.djvu/266

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CORRESPONDANCE

caravane et à mulet ; à peine si j’ai le temps de prendre des notes. Ne t’inquiète pas pour moi, mon bon vieux. Il n’y a rien à craindre dans la Tunisie ; ce qu’il y a de pire comme habitants se trouve aux portes de la ville, il ne fait pas bon y rôder le soir, mais je crois les Européens résidant ici d’une couardise pommée ; j’ai pour cette raison renvoyé mon drogman qui tremblait à chaque buisson, ce qui ne l’empêchait point de me filouter à chaque pas. Son successeur est, à partir d’aujourd’hui, un nègre hideux, un homme noir.

Je te regrette bien, tu t’amuserais, nous nous amuserions ! Le ciel est splendide. Le lac de Tunis est couvert le soir et le matin par des bandes de flamants qui, lorsqu’ils s’envolent, ressemblent à quantité de petits nuages roses et noirs.

Je passe mes soirs dans des cabarets maures à entendre chanter des juifs et à voir les obscénités de Caragheuz.

J’ai, l’autre jour (en allant à Utique), couché dans un douar de Bédouins, entre deux murs faits en bouse de vache, au milieu des chiens et de la volaille ; j’ai entendu toute la nuit les chacals hurler. Le matin, j’ai été à la chasse aux scorpions avec un gentleman adonné à ce genre de sport. J’ai tué à coups de fouet un serpent (long d’un mètre environ) qui s’enroulait aux jambes de mon cheval. Voilà tous mes exploits.

Il est probable que je m’en irai d’ici à Constantine par terre, cela est faisable, avec deux cavaliers du Bey. Arrivé sur la frontière, à quatre jours d’ici, le commandant de Souk’ara me donnera des hommes qui me mèneront jusqu’à Constantine.