Page:Flaubert Édition Conard Correspondance 4.djvu/78

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
72
CORRESPONDANCE

473. À LOUIS BOUILHET.
Croisset, 24 mai 1855.
Ô homme !

Je chante les lieux qui furent le

Théâtre aimé des jeux de ton enfance


c’est-à-dire : les cafés, estaminets, bouchons et autres endroits qui émaillent le « bas de la rue des Charrettes ». Je suis en plein Rouen et je viens même de quitter, pour t’écrire, les lupanars à grilles, les arbustes verts, l’odeur de l’absinthe, du cigare et des huîtres, etc. Le mot est lâché : « Babylone » y est, tant pis ! Tout cela, je crois, frise bougrement le ridicule. C’est « trop fort ». Enfin tu verras. Rassure-toi, d’ailleurs : je me prive de métaphores, je jeûne de comparaisons et dégueule fort peu de psychologie. Il m’est venu ce soir un remords. Il faut à toute force que les cheminots trouvent leur place dans la Bovary. Mon livre serait incomplet sans lesdits turbans alimentaires, puisque j’ai la prétention de peindre Rouen. C’est bien le cas de dire

D’un pinceau délicat l’artifice agréable
Du plus hideux objet, etc.

  Je m’arrangerai pour qu’Homais raffole de cheminots. Ce sera un des motifs secrets de son voyage à Rouen et d’ailleurs sa seule faiblesse humaine. Il s’en donnera une bosse, chez un ami de la rue Saint-Gervais. N’aie pas peur ! ils seront