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CORRESPONDANCE

toi, je n’en douterais plus aujourd’hui ; les obstacles que tu rencontres me confirment dans mes idées. Toutes les portes s’ouvriraient si tu étais un homme médiocre. Au lieu d’un drame en cinq actes, à grands effets et à style corsé, présente une comédie « Pompadour, agent de change », et tu verras quelles facilités, quels sourires, quelles complaisances pour l’œuvre et l’auteur ! Ne sais-tu donc pas que dans ce charmant pays de France on exècre l’originalité ? Nous vivons dans un monde où l’on s’habille de vêtements tout confectionnés. Donc, tant pis pour vous si vous êtes trop grand ; il y a une certaine mesure commune, vous resterez nu. Ouvre l’histoire et si la tienne (ton histoire) n’est pas celle de tous les gens de génie, je consens à être écartelé vif. On ne reconnaît le talent que quand il vous passe sur le ventre et il faut des milliers d’obus pour faire son trou dans la Fortune. J’en appelle à ton orgueil, remets-toi en tête ce que tu as fait, ce que tu rêves, ce que tu peux faire, ce que tu feras, et relève-toi, nom d’un nom, considère-toi avec plus de respect ! et ne me manque pas d’égards, dans ton for intérieur, en doutant d’une intelligence qui n’est pas discutable.

Tu me diras que voilà deux ans que tu es à Paris et que tu as fait tout ce que tu as pu, et que rien de bon ne t’est encore arrivé. Premièrement, non : tu n’as rien fait pour ton avancement matériel et je me permettrai de te dire au contraire : Melaenis réussit, on en parle, on te fait des articles ; tu n’imprimes pas Melaenis en volume, tu ne vas pas voir les gens qui ont écrit pour toi. On te donne tes entrées aux Français, tu n’y mets pas