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CORRESPONDANCE

qu’une sympathie littéraire, il me semble. Mes jours se passent solitairement d’une manière sombre et ardue. C’est à force de travail que j’arrive à faire taire ma mélancolie native. Mais le vieux fond reparaît souvent, le vieux fond que personne ne connaît, la plaie profonde toujours cachée.

Me voilà maintenant attelé depuis un mois à un roman de mœurs modernes qui se passera à Paris. Je veux faire l’histoire morale des hommes de ma génération ; « sentimentale » serait plus vrai. C’est un livre d’amour, de passion ; mais de passion telle qu’elle peut exister maintenant, c’est-à-dire inactive. Le sujet, tel que je l’ai conçu, est, je crois, profondément vrai, mais, à cause de cela même, peu amusant probablement. Les faits, le drame manquent un peu ; et puis l’action est étendue dans un laps de temps trop considérable. Enfin, j’ai beaucoup de mal et je suis plein d’inquiétudes. Je resterai ici à la campagne une partie de l’hiver, pour m’avancer un peu dans cette longue besogne.

Je n’ai pas été cette année à Vichy ; c’est il y a deux ans, et l’année dernière ; on s’est trompé.

Je ne lis rien et ne puis par conséquent rien vous indiquer de nouveau. Tous ces temps-ci je m’étais occupé de socialisme ; mais vous connaissez tout cela, en partie du moins.

On dit beaucoup de bien du nouveau roman de Mme Sand.

Vous ne me parlez jamais de Michelet que j’aime et admire beaucoup. Et vous ?

Allons, tâchez d’avoir du courage, et pensez à moi qui vous serre les mains très cordialement.