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DE GUSTAVE FLAUBERT

801. À MADAME ROGER DES GENETTES.
[Croisset, octobre ? 1864].

Comme je m’ennuie, comme je suis las ! Les feuilles tombent, j’entends le glas d’une cloche, le vent est doux, énervant. J’ai des envies de m’en aller au bout du monde, c’est-à-dire vers vous, de reposer ma pauvre tête endolorie sur votre cœur et y mourir. Avez-vous jamais réfléchi à la tristesse de mon existence et à toute la volonté qu’il me faut pour vivre ? Je passe mes jours absolument seul, sans plus de compagnie qu’au fond de l’Afrique centrale. Le soir, enfin, après m’être battu les flancs, j’arrive à écrire quelques lignes qui me semblent détestables le lendemain. Il y a des gens plus gais, décidément. Je suis écrasé par les difficultés de mon livre. Ai-je vieilli ? Suis-je usé ? Je le crois. Il y a de ça au fond. Et puis ce que je fais n’est pas commode, je suis devenu timide. Depuis sept semaines j’ai écrit quinze pages et encore ne valent-elles pas grand’chose.

Comme c’est mal arrangé, le monde ! à quoi bon la laideur, la souffrance, la tristesse ? Pourquoi tous nos rêves impuissants ? Pourquoi tout ? J’ai vécu plusieurs années dans un état que j’ose qualifier d’épique, sans ressentir le moindre doute, ni la moindre fatigue. Mais à présent je suis rompu. J’aurais besoin de m’amuser beaucoup !

Comme je pense à vous et comme j’aurais envie de votre esprit et de votre grâce ! Mais les exigences de mon écrasant travail me condamnent à une séparation que je maudis. Je commence