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DE GUSTAVE FLAUBERT.

bonnes pages. L’Art ne doit pas faire joujou, bien que je sois partisan aussi entiché de la doctrine de l’art pour l’art, comprise à ma manière (bien entendu).

Ainsi, dans Veuve, tous les caractères et les descriptions sont hors ligne, et cependant on ne croit pas à l’histoire, parce que les événements ne dérivent pas fatalement des caractères. Je m’explique : on ne comprend pas pourquoi Mme Lebrun ne veut pas se marier avec Donatien. Parce qu’elle a fait un vœu ? Mais la raison du vœu n’est pas motivée !

Elle n’aimait pas assez son mari, d’une part, et de l’autre elle n’est pas assez dévote. Puisque vous avez présenté le médecin comme un philosophe, il fallait faire de votre veuve une mystique. La mort de celle-ci ne me paraît pas la conséquence naturelle de sa passion, pas plus que celle du bourgeois qui imite Jacques ; lequel Jacques est un personnage de fantaisie, entre nous. Pourquoi aussi votre curé change-t-il d’aspect sans raison ? Nous sommes habitués à voir un grotesque ; puis, tout à coup, une espèce de saint nous apparaît. Je vous demande franchement si cela est ordinaire dans la vie ? Or le roman, qui en est la forme scientifique, doit procéder par généralités et être plus logique que le hasard des choses. Bref, vous avez voulu donner une fin chrétienne à un livre commencé impartialement. De là les disparates !

Suis-je un pion assez sévère, hein ?

« Sévère, mais juste », si bien que je trouve la déclaration d’amour de Donatien un simple chef-d’œuvre. Cette page-là écrase, comme valeur et