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CORRESPONDANCE

821. À MADEMOISELLE LEROYER DE CHANTEPIE.
[Croisset, 8 octobre 1865].

Je suis bien aise d’apprendre, chère demoiselle, qu’il y a enfin une trêve dans vos souffrances. Comme vous avez bien fait d’abandonner la confession, puisque vous ne pouviez plus la supporter ! À quelque point de vue que l’on se place, vous êtes parfaitement innocente. J’approuve beaucoup votre projet de travail. Rien n’est sain comme l’érudition ; il n’en est pas de même de la métaphysique et de l’Art, matières plus hautes et où l’on navigue toujours un peu dans la folie.

Afin de me distraire, je me suis plongé dans un travail forcené. Jamais je ne me suis donné de mal comme depuis deux mois et j’espère, vers le jour de l’an, être arrivé à la fin de la première partie de mon roman. Comme je suis tout entier à cet ouvrage, qui est long et difficile, je ne puis vous parler de ce qui se publie maintenant, car je ne lis absolument rien.

Vous me parlez de la solitude intellectuelle où vous vivez ! Moi aussi je connais cela ! Je passe de longs mois aussi seul qu’au milieu du désert, et ne croyez pas qu’à Paris même les gens sympathiques foisonnent.

Vous êtes pour moi, chère Demoiselle, du petit noyau des intimes et je fais, non pour votre bonheur, chose impossible ici-bas, mais pour votre tranquillité tous les souhaits possibles. Allons, travaillez bien votre Anjou. Faites-nous un bon livre et pensez à moi quelquefois, car je suis le vôtre.